Streaming vidéo, offres avec pubs, droits TV de la Ligue 1 : les dossiers chauds de la rentrée, selon Philippe Bailly (NPA Conseil)
Interview du lundi. Le marché de la vidéo streaming est en pleine ébullition après que Disney ait annoncé le lancement de son offre avec publicité en France le 1er novembre. L’offre de Netflix devrait de son côté s’accélérer d’ici à la fin d’année. En même temps, les groupes audiovisuels comme TF1, France TV ou M6 musclent leurs plateformes et enrichissent leurs offres gratuites. Comment ce marché va-t-il se structurer cet automne ? Après l’annonce d’un accord entre DAZN et Canal+, le marché des droits sportifs va-t-il bouger ? Amazon répondra-t-il à l’appel d’offres de la Ligue 1 ? Philippe Bailly (NPA Conseil) livre ses prévisions à The Media Leader.
The Media Leader : La télévision devient minoritaire dans la consommation vidéo aux Etats-Unis en juillet, selon Nielsen. Est-ce une tendance qui se dessine également en France ?
Philippe Bailly : Il y a deux choses. D’une part les acteurs et d’autre part la manière de regarder. Demain, que la consommation en OTT, c’est-à-dire via des Smart TV, via des Chromecast ou via des Apple TV, prenne le pas sur le visionnage via les box, c’est plausible. C’est même déjà le cas aujourd’hui chez ceux qui sont équipés de Smart TV. Elle devient alors le premier moyen d’accéder aux programmes devant la box des opérateurs. C’est ce qu’on voit sur l’étude trimestrielle qu’on mène avec Harris Interactive depuis plusieurs trimestres.
Pour moi, la vraie question est de savoir de qui on va regarder les programmes ? Les groupes historiques de l’audiovisuel français comme France Télévisions, TF1 ou M6 prennent pied dans ces environnements. Ils sont de plus en plus consommés sur les Smart TV, sur leurs sites web, via leurs applications… Donc, ça ne les condamne pas à devenir des acteurs minoritaires en termes de part des usages.
Pour moi, la bagarre reste ouverte entre les acteurs historiques et les plateformes de streaming comme Netflix, Disney ou Paramount.
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TML : Disney a annoncé une augmentation de ses tarifs et le lancement d’une offre avec publicité moins chère en France dès le 1er novembre, comme l’a fait Netflix. Est-ce une tendance inexorable pour ces acteurs réputés assez peu chers ?
Ph. B. : Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Le niveau de pénétration des offres SVOD ne peut pas éternellement augmenter. Dans certains pays, aux États-Unis notamment, on est aux alentours de 80 %. Nous arrivons donc à une maturité sur ce marché.
Dans le même temps, il y a une concurrence qui reste très forte entre les plateformes ou les grands studios. Avec Netflix, Amazon, Apple, Paramount et d’autres, on a déjà sept ou huit acteurs majeurs sur le marché du streaming payant. Cela finit par coûter cher au consommateur s’il veut s’abonner à tout.
Récemment, le Financial Times a calculé qu’aux États-Unis, si on s’abonne aux six ou sept plateformes majeures, on finit par dépenser autant que les abonnements au câble qui paraissaient totalement ruineux. Le consommateur devient plus sélectif. Donc pour les plateformes, la manière de les conserver et de développer les revenus, c’est d’ouvrir des options plus chères pour ceux qui en ont les moyens et qui ne veulent vraiment pas de publicité. Et pour les autres, Netflix et Disney ont créé des offres moins chères avec publicité et une qualité d’image moindre.
Les opérateurs télécoms nous disent qu’ils ont vu arriver un volume assez significatif de nouveaux abonnés à Netflix.
TML : La fin du partage des codes chez Netflix a-t-il porté ses fruits pour la plateforme ?
Ph. B. : C’est un peu tôt pour en tirer des tendances totalement significatives. Dans les échanges que nous avons avec les opérateurs télécoms, ils disent qu’ils ont vu arriver un volume assez significatif de nouveaux abonnés à Netflix et notamment sur le format moins cher avec publicité. La plateforme américaine semble avoir vraiment appris de ses erreurs pendant une phase de rodage en début d’année en Espagne qui avait été assez mal gérée, considérée comme brutale, et elle avait perdu beaucoup d’abonnés.
En France, ils ont commencé par faire référencer ce forfait moins cher avec publicité sur toutes les box opérateurs qui ne l’avaient pas intégré jusque-là. Quand ils ont annoncé que le partage des codes devenait payant, celui-ci s’est retrouvé exactement au même niveau de prix que le forfait avec publicité. Ils ont offert une porte de sortie en douceur à ceux qui ne pouvaient utiliser le partage de codes. Je pense que leurs chiffres en ont bénéficié.
TML : L’arrivée des offres avec publicité pour Netflix ou Disney+ s’ajoute aux offres d’acteurs plus petits comme Molotov qui a lancé de nouvelles chaînes FAST financées par la publicité. Et il y a les acteurs audiovisuels historiques qui veulent leurs parts du gâteau. Le marché publicitaire de la TV et de la vidéo est-il en train de se recomposer ?
Ph. B. : Oui, les cartes vont être rebattues, mais pas forcément au détriment des grands acteurs historiques. Certaines barrières qu’on avait posées il y a un ou deux ans commencent à se fissurer. Cet automne, certaines chaînes de la TNT vont être distribuées par des plateformes de FAST. Amazon discute avec France Télévisions et Arte pour les intégrer à Prime Vidéo. Les plus grandes plateformes des groupes audiovisuels comme MyTF1, 6Play ou France.TV ne se contentent plus d’être des plateformes de rattrapage de leurs programmes. Par exemple, sur MyTF1, plus de la moitié des programmes disponibles ne sont pas diffusés à l’antenne. En parallèle, je rappelle qu’il y aura une refonte de la mesure d’audience TV en 2024 et 2025.
Et puis on annonce l’arrivée d’une nouvelle monnaie d’échange utilisée sur le digital : le CPM (coût par mille) par rapport au GRP dans lequel on comptait jusque-là. Pour TF1, M6 ou France Télévisions, passer d’un comptage en GRP en coût par mille, donc en millions de contacts, cela va démontrer, que dans les usages, ces acteurs restent malgré tout très largement dominants par rapport aux plateformes américaines.
On peut imaginer que Canal+ sera toujours présent dans la diffusion de la Ligue 1 au-delà de 2024.
TML : Le sport va être au cœur de la bataille entre tous les acteurs. Canal+ muscle ses offres avec l’acquisition de droits étrangers comme le Championnat Saoudien de Football ou des accords avec la plateforme DAZN, le Netflix du sport. La LFP lance un appel d’offres pour la Ligue 1 en septembre pour 3 saisons qui semble très incertain, puisqu’on ne sait pas si Amazon, actuel détenteur, va candidater ou même si Canal+ sera intéressé. Quelle est votre vision ?
Ph. B. : En effet, l’appel d’offres de la Ligue 1 doit être lancé le 12 septembre. Nous avons déjà un premier indice avec ce qui s’est passé en Italie mi-juin, puisqu’ils ont lancé leurs propres enchères. Les grands streamers comme Amazon ou même Apple n’ont pas candidaté. Ceux qui ont candidaté, ce sont plutôt des acteurs locaux comme Sky, déjà diffuseur d’une partie du championnat, ou Mediaset, du groupe Berlusconi, qui voudrait prendre une partie des matchs en gratuit. Et la plateforme de streaming dédiée au sport DAZN, déjà diffuseur en Italie, est de nouveau candidate.
En France, le 12 août, un mois pile avant le lancement de l’appel d’offres à la LFP, Canal+ a annoncé un accord avec DAZN qui n’était pas présent en France. Ce contrat qui garantit une distribution massive sur l’ensemble du parc des abonnés de Canal. Parallèlement, Canal+ a signé un accord de distribution co-exclusif avec DAZN pour sa chaîne Canal+ Ligue 1 qui diffuse les deux meilleurs matchs du championnat. Pour moi, ça nourrit un pari : celui d’avoir DAZN comme invité surprise dans l’appel d’offres de la Ligue 1 en septembre. Et ceci, en bonne intelligence avec Canal+. On peut imaginer que Canal+ sera toujours présent dans la diffusion de la Ligue 1 au-delà de 2024 que ce soit avec DAZN ou même BeIn Sports avec lequel il y a un accord de distribution exclusif.
TML : Amazon a perdu beaucoup d’argent sur le Championnat de Ligue 1. Pensez-vous que la plateforme va déposer un dossier sur le prochain appel d’offres ?
Ph. B. : En France, la situation d’Amazon est presque unique au monde. Je rappelle, qu’en 2020, ils ont bénéficié d’une opportunité unique après la déconfiture de Mediapro et le fait que la LFP avait besoin de vendre ses droits en urgence. Ils ont payé plus qu’un prix d’ami, soit trois fois moins que ce que Mediapro avait mis sur la table. C’était 250 millions d’euros par an pour devenir le premier diffuseur du championnat avec huit matchs par journée. Et même avec ce tarif, nos calculs ont montré que ça été très loin d’être rentable. On estime la perte de l’ordre de 130 millions par saison, donc 400 millions sur trois saisons. A mon avis, si Amazon se porte à nouveau candidat, ce sera plutôt sur un modèle qu’ils ont créé en Angleterre ou en Allemagne, avec deux ou trois matchs maximum par journée proposé sans abonnement supplémentaire aux abonnés Prime. Ce qui devient une sorte d’investissement marketing.
TML : En France, Amazon avait dû créer une option payante supplémentaire, le Pass Ligue 1, un cas unique au monde pour la plateforme…
Ph. B. : Quand vous mettez 250 millions d’euros par saison pour huit matchs, plus les coûts de production, ça fait un très gros volume financier. D’où ce Pass Ligue 1 pour amortir une partie de ces coûts.
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