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Jean-Luc Chetrit (Union des marques) : « Les grands annonceurs n’ont pas désinvesti les médias traditionnels »

Jean-Luc Chetrit (Union des marques) : « Les grands annonceurs n’ont pas désinvesti les médias traditionnels »
Jean-Luc Chetrit, dirige l'Union des marques, premier syndicat d'annonceurs. Il représente 7 000 membres, 250 entreprises adhérentes et 1 600 marques.

INTERVIEW DU LUNDI. Dans un marché publicitaire en pleine transformation, Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’Union des marques, fait sa rentrée dans The Media Leader. Il détaille les grands enjeux de cette année 2025 pour les annonceurs : le lancement très attendu de la mesure cross-média vidéo, les inquiétudes autour de la fin du fact-checking chez Meta, le financement des médias avec les premiers résultats d’une étude Kantar exclusive, et les priorités d’accessibilité et de transparence.

The Media Leader : Meta a récemment annoncé l’arrêt de son financement du fact-checking aux États-Unis. Êtes-vous inquiet ?

Jean-Luc Chetrit : C’est une annonce qui suscite des préoccupations légitimes chez les annonceurs. Le fact-checking est essentiel pour garantir un environnement de confiance, tant pour les utilisateurs que pour les marques. En supprimant ces dispositifs de modération de contenus, Meta envoie un signal ambigu sur son engagement envers la lutte contre la désinformation. Cependant, il est important de noter que cette décision concerne avant tout le marché américain. En Europe, des réglementations comme le DSA imposent aux plateformes des obligations spécifiques, notamment en matière de modération et de transparence. Ce sera à la Commission européenne de veiller à ce que Meta respecte ses engagements sur notre territoire.

L’absence de Meta au comité cross-média est une mauvaise nouvelle, tant pour la plateforme que pour l’ensemble du marché.

The Media Leader : Cette décision risque-t-elle de fragiliser la relation entre les marques et Meta ?

J-L. C. : Absolument. Les marques investissent dans des environnements publicitaires où elles peuvent protéger leur image et leur réputation. Si Meta ne garantit plus un écosystème sûr et respectueux, cela pourrait affecter la confiance des annonceurs. Cela renforce aussi l’importance d’avoir des outils robustes de brand safety et de brand suitability, qui permettent aux marques de contrôler les contextes dans lesquels leurs campagnes apparaissent. Nous continuerons à dialoguer avec Meta sur ces enjeux, mais il est évident que leur retrait du fact-checking n’est pas un bon signal, ni pour les utilisateurs, ni pour le marché publicitaire.

The Media Leader : Meta a refusé de participer au comité cross-média de Médiamétrie. Que cela signifie-t-il pour le marché publicitaire ?

J-L. C. : L’absence de Meta au comité cross-média est une mauvaise nouvelle, tant pour la plateforme que pour l’ensemble du marché. Ce comité, créé à l’initiative de Médiamétrie, vise à harmoniser la mesure des campagnes publicitaires sur tous les supports : TV, digital, streaming. Les annonceurs, les agences et les chaînes y participent activement.

Meta avait l’occasion de démontrer son engagement à corriger les erreurs passées, notamment celles liées à la fiabilité de ses données d’audience. Leur retrait envoie un signal négatif et renforce l’idée qu’ils ne veulent pas évoluer vers une transparence renforcée. L’Union des marques continuera de dialoguer avec eux, mais il est clair qu’un acteur de cette taille doit être exemplaire.

La disparition de chaînes comme C8 et NRJ12 crée un vide pour les jeunes audiences, alors que la demande pour les espaces publicitaires télévisés reste forte.

The Media Leader : Quelles sont les attentes des annonceurs vis-à-vis de la mesure cross-média vidéo que lance Médiamétrie cette année ?

J-L. C. : La mesure cross-média est une demande historique des annonceurs. Ils veulent une vue unifiée de la répétition et du reach de leurs campagnes sur tous les supports, afin d’optimiser leur impact et d’éviter une pression publicitaire excessive.

Le comité cross-média, piloté par Médiamétrie, est une étape décisive. Cinq représentants de l’Union des marques y siègent, ce qui garantit une défense des intérêts des annonceurs. Nous espérons que cette mesure permettra d’améliorer la qualité des campagnes, tout en répondant aux attentes des consommateurs, qui se plaignent souvent d’une répétition publicitaire excessive.

YouTube, par exemple, a récemment dû revoir sa communication après s’être autoproclamé « chaîne de télévision ». Ce débat souligne l’importance d’une mesure claire et équitable pour tous les acteurs, qu’ils soient traditionnels ou numériques.

The Media Leader : La recomposition de la TNT et le développement des plateformes de streaming posent de nouvelles questions. Quels sont les enjeux pour les marques ?

J-L. C. : La disparition de chaînes comme C8 et NRJ12 crée un vide pour les jeunes audiences, alors que la demande pour les espaces publicitaires télévisés reste forte. Cette situation risque d’accentuer l’inflation des coûts.

Par ailleurs, les plateformes de streaming développées par les chaînes doivent encore améliorer l’expérience publicitaire. Les annonceurs se plaignent de problèmes récurrents : capping insuffisant, coupures violentes, volumes de pré-rolls trop importants… Si ces plateformes veulent séduire les annonceurs, elles devront résoudre ces problèmes rapidement.

Nous appelons les régulateurs, comme l’ARCOM, à veiller à ce que les mêmes règles s’appliquent à tous les acteurs. Cette équité est cruciale pour le développement harmonieux du média radio.

The Media Leader : L’Alliance de la Radio, qui réunit les stations privées françaises, a été lancée la semaine dernière et ambitionne de mieux se faire entendre auprès des annonceurs. Quel regard portez-vous sur cette initiative ?

J-L. C. : Cette initiative est très positive. La radio est un média puissant, apprécié des Français, mais elle souffre parfois d’un manque de visibilité face à des formats comme la vidéo. Le fait que les acteurs de la radio s’unissent pour parler d’une seule voix est un signal fort.

Je salue particulièrement leur proposition de simplifier les mentions légales dans les spots publicitaires, un combat que nous menons aussi à l’Union des marques. Ces mentions freinent l’impact des campagnes radio et limitent la créativité.

En revanche, les discussions sur les quotas de musique française relèvent davantage du ministère de la Culture. Ce qui nous semble essentiel, c’est de garantir une régulation équitable entre les radios et les plateformes de streaming audio. Les asymétries réglementaires ou leur application inégale doivent être corrigées pour permettre une réelle concurrence. Nous appelons les régulateurs, comme l’ARCOM, à veiller à ce que les mêmes règles s’appliquent à tous les acteurs. Cette équité est cruciale pour le développement harmonieux du média radio.

The Media Leader : Les États généraux de l’information (EGI) ont évoqué une transparence accrue des investissements publicitaires. Quelle est votre position ?

J-L. C. : Nous sommes favorables à la transparence, mais elle doit être équitable. Si les annonceurs doivent déclarer leurs investissements par média, alors les plateformes doivent aussi déclarer leurs chiffres d’affaires par pays, ainsi que la répartition entre grands comptes et longue traîne.

La transparence doit également s’appliquer à la chaîne de valeur. Entre les 100 euros dépensés par un annonceur et les 10 à 20 euros reçus par un média, il y a une opacité sur les intermédiaires. Nous proposons des solutions technologiques comme le « shared campaign ID », déjà adopté par certains acteurs, mais Google reste réticent.

La transparence ne doit pas être une contrainte symbolique pour quelques-uns. Elle doit être une règle générale, appliquée à tous.

Contrairement aux idées reçues, ce sont les petites marques, issues de la longue traîne, qui ont massivement basculé vers le digital.

The Media Leader : Les EGI ont également mis en lumière le débat sur le financement des médias par les annonceurs, une situation pointée par une étude PMP Strategy pour l’Arcom et le ministère de la Culture. Vous allez dévoiler une étude Kantar sur ce sujet. Que disent ces chiffres ?

J-L. C. : Cette étude, commandée par l’Union des marques, montre que les grandes marques n’ont pas désinvesti les médias traditionnels. Contrairement aux idées reçues, ce sont les petites marques, issues de la longue traîne, qui ont massivement basculé vers le digital.

Quelques chiffres : le marché publicitaire est réparti en quatre segments de marques, chacun représentant 25 % des investissements. Si les 89 grandes marques occupent une place importante, elles sont talonnées par un groupe de 71 000 petites marques, responsables d’une grande partie des budgets digitaux.

Ce phénomène est lié à la facilité d’accès offerte par le digital, mais aussi au coût relativement bas des campagnes sur les plateformes. Cette réalité impacte directement les médias traditionnels, qui peinent à séduire ces annonceurs de petite taille.

The Media Leader : L’Union des marques veut faire de l’accessibilité de la publicité aux personnes déficientes un sujet prioritaire en 2025. Comment cela va-t-il se traduire ?

J-L. C. : Il y a 12 millions de Français sourds, malentendants, aveugles ou malvoyants. Ce chiffre est énorme, c’est l’équivalent de la population de l’Île-de-France. Pourtant, seulement 12 % des publicités sont sous-titrées et 4 % sont audiodécrites.

Nous avons décidé de nous mobiliser pour changer cette situation. Déjà, 56 % des marques du programme FAIRE sous-titrent leurs publicités, un chiffre bien supérieur à la moyenne nationale. Mais ce n’est pas suffisant. En 2025, nous allons intensifier nos actions : ateliers, formations, guides pratiques, et surtout la création d’une plateforme globale d’accessibilité en partenariat avec nos homologues britanniques.

L’inclusion n’est pas seulement une question de responsabilité sociale, c’est aussi une question d’efficacité. Une campagne accessible touche davantage de personnes et renforce son impact.

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