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Liva Ralaivola (Criteo) : « L’entraînement des algorithmes est l’un des grands défis de la publicité digitale »

Liva Ralaivola (Criteo) : « L’entraînement des algorithmes est l’un des grands défis de la publicité digitale »
Liva Ralaivola, Head of the AI Innovation & Research group within CAIL. / Crédit : Criteo AI Lab

Étoile montante arrivée au sommet du digital en un claquement de doigts, l’intelligence artificielle touche en son cœur, la publicité. Comment s’imbrique-t-elle dans ce secteur aux multiples facettes ? À quel point infuse-t-elle sa matière pour redéfinir nos usages ? À la tête du département de la Recherche au sein du Criteo AI Lab depuis 2019, Liva Ralaivola, Head of the AI Innovation & Research group within CAIL chez Criteo analyse l’impact et l’avenir de l’IA dans la publicité.

The Media Leader : Pouvez-vous nous expliquer comment le Criteo AI Lab a évolué depuis sa création, tant sur le plan des travaux de recherche que de son impact dans le secteur de la publicité digitale ?

Liva Ralaivola : Depuis sa création en 2018, l’AI Lab de Criteo n’a cessé d’évoluer et rassemble aujourd’hui plus de 120 ingénieurs et chercheurs, qui travaillent au quotidien sur une variété de sujets sur l’IA en lien avec les besoins actuels ou projetés de l’AdTech. Nous avons également signé de nombreux partenariats avec le monde académique, comme avec l’INRIA (accord-cadre de collaboration), l’INRIA et l’ENSAE (équipe-projet FAIRPLAY) ou d’autres universités (via des co-encadrements de thèses de doctorat, notamment), et nos travaux ont donné lieu à la publication de plus de 170 articles de recherches dans des revues et conférences de renommée internationale (NeurIPS, ICML, ICLR, AISTATS, KDD…).

Au-delà de l’objectif de fédérer les efforts de recherche en IA au sein de l’entreprise, une mission du laboratoire est de poser les bases d’une innovation pour l’AdTech scientifiquement fondée, de rupture et tout à la fois responsable : les recherches menées alimentent notre réflexion sur la manière d’envisager la publicité digitale du futur et contribuent à façonner notre stratégie R&D. Elles constituent le socle de notre développement produit, au service de la performance et de l’efficacité.

TML : Quels sont les axes de recherche prioritaires pour votre équipe aujourd’hui ? Y a-t-il des innovations ou résultats récents dont vous êtes particulièrement fiers ?

L.R : D’un point de vue technique, nos travaux de recherche sont déployés selon quatre axes :

  • Le Deep Learning et l’apprentissage d’embeddings /de représentations qui visent à améliorer continuellement la qualité de nos recommandations et de nos enchères, mais également la compréhension des audiences et le développement de créatives pertinentes grâce à l’utilisation de l’IA générative. A terme, notre objectif est d’’intégrer et d’activer toutes les données de Commerce.
  • L’intelligence artificielle appliquée à la théorie des jeux, aux places de marché (marketplaces) et à l’économie : l’AdTech met en compétition des moteurs d’IA qui doivent s’affronter les uns les autres au travers d’enchères, de recommandations, et qui doivent également optimiser des critères de performance (augmentation des ventes, clics, achat d’espaces au meilleur prix) parfois contradictoires. Il est donc nécessaire de concevoir des algorithmes d’IA qui prennent en compte ces aspects concurrentiels.
  • La question de confidentialité (privacy), thème transverse : le respect de la confidentialité des données utilisés pour l’apprentissage est un sujet central de la recherche en Machine Learning et il est évidemment au cœur de nos préoccupations.
  • Et enfin, le respect de l’équité, l’ouverture de nos données et la participation à l’avancée d’une IA éthique et responsable pour lutter collectivement contre les potentiels risques qu’on lui connait.

Ces sujets sont des chantiers sur le long terme, qui continueront de nous animer pendant quelques années, mais nous observons des résultats probants dont nous sommes particulièrement fiers (par exemple le déploiement à l’échelle de nos méthodes de Deep Learning).

Nous avons également cocréé une équipe projet avec l’INRIA et l’ENSAE, fruit d’une vision commune : celle d’une recherche à la fois ouverte, au meilleur niveau académique, et ancrée dans des problématiques industrielles, afin de développer des outils d’IA répondant au problème d’agents concurrents mentionné ci-dessus, tout en répondant aux enjeux en matière de confidentialité des données.

Une mission du laboratoire est de poser les bases d’une innovation pour l’AdTech scientifiquement fondée, de rupture et tout à la fois responsable

TML : En quoi les avancées en intelligence artificielle permettent-elles d’améliorer les différentes étapes de la publicité digitale, comme le ciblage, la personnalisation ou l’expérience client ?

L.R : Les avancées en intelligence artificielle permettent, à partir des volumes de données gigantesques collectés quotidiennement, d’extraire de l’information de plus en plus précise et granulaire. Année après année, ces progrès nous permettent en effet – et de manière continue – d’innover, de développer et d’améliorer les outils qui serviront l’entièreté de la chaîne d’extraction de valeurs des données avec comme conséquence des améliorations sur le ciblage, la personnalisation et l’expérience client.

TML : Quels sont les principaux défis rencontrés lors de l’entraînement des algorithmes pour gérer les problématiques dans la publicité digitale ?

L.R : L’un des principaux défis auquel nous sommes confrontés lorsqu’il s’agit de l’entrainement de nos algorithmes, c’est tout d’abord la quantité astronomique de données que nous devons extraire, prétraiter et structurer avant de la rendre exploitable. La complexité va même un cran plus loin : déployer des modèles de Deep Learning en production exige d’avoir à disposition des architectures de calcul (des GPU) et des plateformes logicielles adaptées, dont les coûts doivent être pris en compte dans les modèles de rentabilité. Fort heureusement, nous avons chez Criteo une longue expérience de déploiement à l’échelle de modèles d’IA, sur nos infrastructures matérielles et logicielles. Nous sommes donc en mesure de traiter ces chantiers complexes.

TML : Comment abordez-vous la question des biais algorithmiques, notamment dans des contextes sensibles qui peuvent renforcer certaines discriminations ?

L.R : C’est une vaste question et les aspects à prendre en compte sont multiples. Il y a bien sûr un aspect règlementaire sous-jacent à cette question, la loi devant encadrer l’usage sans empêcher l’innovation.

Mais l’approche règlementaire ne constitue qu’une partie de la solution, la deuxième implique la responsabilité individuelle et collective des acteurs de la chaine de valeur de l’IA.

En phase de conception, par exemple, nous devons garder à l’esprit que l’IA est « juste une technologie » et qu’elle n’arrivera donc par définition pas à régler les problèmes que l’humain n’arrive pas à régler lui-même. Autrement dit, une IA ne pourra se développer « sainement » que si les données qui l’alimentent – et sur la base desquelles elle se construit par définition – sont elles-mêmes traitées en amont. Il est donc impératif que les entreprises mettent en œuvre une solide gouvernance des données et protection de la vie privée, les fondamentaux en matière d’IA responsable.

En phase « d’utilisation de l’IA », les entreprises doivent également mettre en place un certain nombre d’actions. Cela va de la sensibilisation des collaborateurs à la formation d’un comité cross-fonctionnel destiné à encadrer les pratiques responsables en matière d’IA au sein de l’organisation, et faire les ajustements nécessaires si besoin. L’humain doit rester dans la boucle et être capable de maîtriser les outils à sa disposition.

Dans notre écosystème publicitaire, cette approche holistique sera bénéfique non seulement pour les acteurs de l’industrie, mais elle favorisera également la confiance du public dans les technologies de l’IA et dans celles de l’AdTech.

L’approche règlementaire ne constitue qu’une partie de la solution

TML : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de solutions ou initiatives mises en place par le Criteo AI Lab pour plus d’équité et d’inclusion ?

L.R : Tout d’abord, il me semble important de rappeler que nous n’avons chez Criteo pas accès ni n’utilisons de données à caractère sensible, telle que par exemple l’âge ou le genre d’un utilisateur, et que toutes les données que nous traitons sont pseudonymisées. La protection de la vie privée constitue l’un des piliers de notre organisation.

Deuxièmement notre politique produit est stricte et sans concession, de manière à nous assurer que l’ensemble de nos produits sont conçus pour fonctionner de manière responsable. Nous avons mis en place un “comité d’éthique” composé d’employés issus de différentes équipes de l’entreprise, dont l’objectif est de guider et de conseiller sur la manière dont nos produits sont construits et utilisés.

Et enfin, et c’est l’un de nos principaux axes de recherche au sein de l’AI Lab, notamment au travers d’un projet baptisé FAIRPLAY, mis en place afin d’étudier l’impact de l’IA sur la conception de places de marchés (marketplaces) transparentes et équitables pour les utilisateurs. Comment donner accès à des contenus pertinents et personnalisés tout en prenant en compte les impératifs de la protection des données personnelles ? Comment s’assurer qu’une publicité ou une offre d’emploi pourront être vus de façon non-discriminatoire ? … sont quelques exemples de questions centrales étudiées par les chercheurs de Criteo.

TML : L’IA peut-elle contribuer à rendre la publicité digitale plus durable, par exemple en limitant le gaspillage publicitaire ou en optimisant l’impact des campagnes ?

L.R : Il existe une convergence des besoins : la question de mieux exploiter les données disponibles pour apprendre de manière plus rapide, plus précise et en utilisant moins d’énergie est au cœur des recherches en IA depuis toujours. Atteindre cet objectif nous permettra non seulement de concevoir des campagnes mieux ciblées et davantage personnalisées – autrement dit plus efficaces – mais aussi d’améliorer l’acceptation de la publicité par les consommateurs.

TML : À quoi ressemblerait, selon vous, l’avenir de la publicité digitale dans 5 à 10 ans, avec l’appui de l’intelligence artificielle ?

L.R : L’IA a le potentiel de redéfinir la façon dont les marques communiquent avec les consommateurs. Au cours des prochaines années, nous pouvons nous attendre à ce que l’IA transforme les publicités pour mieux les intégrer dans notre paysage urbain et de manière moins intrusive, de manière à favoriser la découverte de produits.

Toujours dans cette même optique, je pense que nous pouvons nous attendre à plus d’interactivité entre la publicité et les utilisateurs. Et je ne parle pas seulement de format conversationnel, car je pense en effet, que nous pourrons aller plus loin, mobiliser nos 5 sens et repenser l’expérience du consommateur dans son ensemble.

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