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Nicolas Rieul (Alliance Digitale) : La fin des cookies va créer « un déséquilibre important et potentiellement durable »

Nicolas Rieul (Alliance Digitale) : La fin des cookies va créer « un déséquilibre important et potentiellement durable »
Nicolas Rieul préside Alliance Digitale depuis 2022.

INTERVIEW DU LUNDI. Deux ans après sa création, Alliance Digitale poursuit sa croissance en intégrant la Digital Marketing Association (DMA France). Une nouvelle étape pour cette association qui a vocation à être un interlocuteur incontournable des autorités, mais également des géants internationaux. Fin des cookies par Google, conflit avec Apple, émergence du retail média, opportunités et dangers de l’IA, santé du segment programmatique… Nicolas Rieul, président d’Alliance Digitale, balaye les sujets chauds qui vont rythmer la fin de l’année.

The Media Leader : Alliance Digitale a été créée il y a deux ans, avec l’intégration de la LLMA France et maintenant la DMA France. Quel bilan faites-vous ? Pouvez-vous dire que « la mayonnaise a pris » entre les différentes entités, dont les cultures pouvaient être différentes

Nicolas Rieul : La réunion de l’IAB France et de la LLMA France est un projet qui a commencé il y a plusieurs années. L’idée est venue d’un constat simple : le marché disposait de nombreuses associations professionnelles sur chaque verticale, entraînant une dilution des moyens, une représentativité réduite et une influence limitée. Évidemment, pour les entreprises, cela signifie des cotisations supplémentaires et du temps consacré à chacune des associations, ce qui n’est jamais évident. L’Alliance Digitale a commencé à fonctionner pleinement au 1er janvier 2023 avec un objectif clair : mieux représenter notre industrie, ses métiers et l’ensemble de nos membres. Il me semble que nous sommes dans la bonne direction. Nous avons fourni des efforts importants pour professionnaliser l’association et renforcer les expertises en interne afin d’être moins dépendants de nos bénévoles, davantage proactifs sur les enjeux et surtout, pouvoir livrer régulièrement des travaux importants pour le marché. Lorsqu’on fait le bilan de l’année 2023, c’est sincèrement impressionnant : 8 commissions, 24 groupes de travail actifs, 15 publications et 16 événements avec plus de 1900 personnes présentes tout au long de l’année. Cela fait plus d’une publication et d’un événement par mois ! Parmi ces publications, il y a des travaux de référence pour l’industrie, comme ceux sur le Retail Media, les alternatives aux cookies tiers ou encore notre référentiel commun avec le SRI de la mesure de l’empreinte carbone de la publicité en ligne. J’invite tous les membres à consulter le rapport d’activité 2023 de l’Alliance Digitale pour se rendre compte du dynamisme de l’association. Tout cela sans citer la partie Affaires publiques où l’Alliance Digitale est devenue la référence qu’elle souhaitait être auprès des pouvoirs publics et parmi l’interprofession. Nous avons beaucoup investi pour atteindre le niveau nécessaire à la promotion de nos métiers. En 2023, nous avons été auditionnés à trois reprises par l’Assemblée nationale et le Sénat, organisé la première table ronde réunissant les présidents des principales autorités de régulation du numérique en France, et fait venir le ministre deux années de suite. C’est un bel accomplissement de tout le travail mené ces dernières années. Le fait que la DMA France décide de nous rejoindre peu après la création d’Alliance Digitale est un autre signal éminemment positif pour nous. Cette idée d’alliance autour du renforcement des moyens, de la mutualisation des compétences et des expertises parle au marché.

Alliance Digitale n’est qu’au début d’une belle histoire et a vocation à grandir encore afin de représenter l’ensemble des 9 000 entreprises du marketing digital présentes sur le territoire.

The Media Leader : Ne craignez-vous pas de traiter un spectre trop large qui pourrait diluer les enjeux ?

N.R. : Au contraire ! L’Alliance Digitale a été pensée et organisée dans sa structure et sa gouvernance pour représenter l’ensemble du marketing digital en France et pour répondre à tous les enjeux du secteur. Nous avons adopté une organisation flexible qui permet justement d’éviter cette dilution en permettant aux groupes de travail de ne faire plus qu’un lorsqu’il s’agit de thématiques communes tout en permettant à chacune des associations de conserver la gestion de certaines thématiques spécifiques, lorsque c’est pertinent. Ce modèle a bien fonctionné avec l’IAB France et la LMMA, il en sera de même avec l’intégration de la DMA France. Le rapprochement de la DMA France est une belle étape pour l’Alliance Digitale et pour l’ensemble du marché français. Nous en sommes très heureux.

The Media Leader : Avez-vous d’autres projets d’élargissement à d’autres associations ?

N.R. : À ce stade, il n’y a rien dans les tiroirs. Un rapprochement prend du temps et de l’énergie pour être mené à bien, de la part des bénévoles comme des permanents. Il faut savoir ne pas aller trop vite d’autant plus que nous avons encore du travail pour que tout soit prêt au 1er janvier 2025. Cela dit, l’Alliance Digitale n’est qu’au début d’une belle histoire et a vocation à grandir encore afin de représenter l’ensemble des 9 000 entreprises du marketing digital présentes sur le territoire.

The Media Leader : La fin des cookies tiers est une thématique qui occupe le secteur de la publicité digitale. Cette attente n’est-elle pas finalement plus polluante que le cookie less en lui-même ?

N.R. : J’ai pour habitude de dire qu’il s’agit du marronnier de notre industrie. Chaque année, c’est la bonne. Pour autant, chaque année, le marché connaît un nouveau report et les cookies tiers sont encore largement utilisés par l’ensemble de l’industrie. Cette situation est globalement inconfortable pour l’industrie, non seulement à cause des inquiétudes persistantes, mais aussi parce qu’il ne s’agit pas d’une décision collective ou collaborative. La dépréciation des cookies tiers sur Chrome est une prérogative unilatérale de Google. Certes, la CMA (L’Autorité de la concurrence britannique, NDLR) surveille que les conditions soient réunies pour permettre à Google de le faire, mais en réalité, c’est Google seul qui en décide. Cette situation fracture le marché, entre ceux qui souhaitent que les choses aillent plus vite, développant des solutions alternatives, et les autres, plus nombreux, qui voient les reports comme un temps supplémentaire pour se préparer. Nous devons trouver un équilibre satisfaisant pour l’intérêt général du marché, et c’est l’une de nos missions pour cette fin d’année 2024 et pour 2025.

Sur la fin des cookies tiers, beaucoup de nos membres ne sont pas prêts, ne font pas ou presque pas de tests. Seule une poignée d’entre eux, souvent des entreprises technologiques importantes, se préparent intensément.

The Media Leader : Que disent vos adhérents et sont-ils prêts ?

Nicolas Rieul : Le marché se prépare depuis plusieurs années. Nous publions chaque année notre guide « cookieless » et les solutions alternatives sont de plus en plus nombreuses et performantes. Cependant, cette transition forcée crée une inégalité entre une minorité d’entreprises qui ont les moyens d’investir et de s’ajuster progressivement aux évolutions techniques, et une majorité qui ne pourra que réagir et limiter les dégâts. Cela va créer un déséquilibre important et potentiellement durable. Beaucoup de nos membres ne sont pas prêts, ne font pas ou presque pas de tests. Seule une poignée d’entre eux, souvent des entreprises technologiques importantes, se préparent intensément. La majorité ne peut pas suivre ce rythme. L’enjeu est de montrer que les solutions alternatives aux cookies tiers peuvent répondre aux besoins marketing, pour éviter que les annonceurs se tournent vers des solutions plus faciles et se détournent de l’Open Web, ce qui serait préjudiciable pour les médias et le marché.

The Media Leader : Criteo est monté au créneau contre la Privacy Sandbox tout comme RTB House et Index Exchange. Quelle est votre vision, en tant qu’interprofessionnel, d’une telle prise de position ?

N.R. : Je félicite et remercie ces entreprises pour leur travail complexe de longue haleine. Les résultats montrent que le chemin à parcourir reste immense avant que la Privacy Sandbox soit prête à être déployée. Nous avons constamment signalé à Google les défis à relever. La question maintenant est de savoir si ces résultats de tests influenceront la CMA et sa décision d’autoriser ou non la suppression des cookies tiers. Nous en saurons plus avec la publication du prochain rapport trimestriel de la CMA. Nous allons continuer à nous concentrer sur ce sujet, en décryptant les dernières évolutions, en accompagnant la transition du marché et en assurant que la PSB permette un niveau de monétisation suffisant pour les éditeurs, adapté aux stratégies des annonceurs et sans avantage indu pour Google.

The Media Leader : Vous aviez tiré la sonnette d’alarme sur une possible future version de Safari, le navigateur d’Apple, qui serait encore plus restrictif dans l’affichage des publicités. Pensez-vous avoir été entendu ?

N.R. : Nous avions été informés d’une nouvelle feature au sein de Safari appelée « Web Eraser » permettant de bloquer ad vitam eternam les publicités sur un site internet. Une sorte d’ad-blocker permanent et directement intégré dans Safari qui n’aurait, bien évidemment, que concerner les publicités des autres et pas celles d’Apple. Sachant que l’entreprise n’est pas à son coup d’essai et ne reculerait pas devant ce type de fonctionnalité, nous nous sommes très vite mobilisés avec nos confrères de l’interprofession, des annonceurs jusqu’aux éditeurs de presse, pour signer un courrier commun adressé à Tim Cook appelant au retrait de cet outil.

Nous sommes très heureux de voir que le « Web Eraser » n’a pas été annoncé lors de la WWDC du 10 juin dernier. Les médias spécialisés ont attribué ce renoncement à notre courrier ainsi que celui d’éditeurs de presse anglais. Nous restons vigilants car on ne sait jamais avec Apple, mais c’est une belle victoire pour nous.

Par ailleurs, je note que nous avons su à plusieurs reprises mobiliser l’ensemble de l’interprofession élargie, à savoir de l’UDM jusqu’à l’APIG. Je dis ça car je pense que nous n’aurions pas forcément été en mesure de le faire il y a quelques années. C’est aussi un des succès de l’Alliance Digitale d’avoir pris une place aussi importante au sein de l’interprofession.

L’IA Act pourrait freiner son développement en imposant des standards uniques au monde. Une pause réglementaire serait bienvenue pour permettre une application moins coûteuse des textes adoptés.

The Media Leader : Confrontés au DMA, les géants du web semblent confrontés à des difficultés pour lancer certains produits autour de l’IA en Europe. Meta AI, AI Overview, Apple Intelligence… Cette régulation est-elle une bonne chose ou un frein à l’innovation ?

N.R. : L’Alliance Digitale s’est mobilisée sur le DMA, une réglementation exigeante visant à limiter les pratiques anticoncurrentielles. Le texte n’a pas encore répondu aux attentes, mais je suis convaincu qu’il favorisera les industries françaises et européennes à long terme. Les récentes annonces d’Apple sur la non-disponibilité d’Apple Intelligence symbolisent la réticence de l’entreprise à se conformer aux règles. Quant à la régulation de l’IA, c’est l’IA Act qui pourrait freiner son développement en imposant des standards uniques au monde. Une pause réglementaire serait bienvenue pour permettre une application moins coûteuse des textes adoptés.

The Media Leader : Le retail media continue sur sa lancée. Vous avez présenté un premier référentiel de la mesure, une initiative franco-française… Quelle est la feuille de route désormais ? Souhaitez-vous que celui-ci soit adopté en Europe comme cela vient d’être fait sur votre référentiel de la mesure carbone ?

N.R. : Le eRetail Média, en tandem avec le cookieless, est un sujet clé de transformation de notre secteur. Depuis plusieurs années, notre commission eRetail Média suit de près ces évolutions. Nous avons élaboré notre référentiel de mesure en nous basant sur le parcours du consommateur pour maximiser sa lisibilité. L’objectif était de concilier les demandes des annonceurs et les possibilités techniques des régies retail. Pour cela, nous avons mis en place un groupe de travail dédié où nous avons invité les régies retail à collaborer pour déterminer ce qui était réalisable ou non dans différents scénarios. Le référentiel qui a émergé de ces discussions est l’un des plus complets et précis qui existe sur le marché. Il servira de référence pour les travaux européens sur le sujet qui accusent encore de retard. Notre ambition est d’influencer et structurer le marché au niveau global comme nous avons pu le faire avec notre référentiel de la mesure carbone. Le eRetail Média bouscule les marques et retailers, que ce soit du point de vue des organisations internes et des compétences ou dans le détourage même du Trade Marketing au cœur de la relation Marques/Distributeurs. Nous avons la chance d’avoir en France un écosystème ultra dynamique qui bouge en permanence et qui compte des champions mondiaux, nouveaux entrants ou nouvelles alliances de retailers comme Unlimitail, Criteo, Valiuz, Mirakl, Infinity, GetInside, Retail Spot, Trygr ou Kamino, pour ne citer qu’eux. C’est autant d’entreprises qui donnent au marché français la crédibilité et la légitimité pour influencer les standards internationaux auxquels nous nous attelons.

Programmatique : nous constatons une forte baisse généralisée des CPM, ce qui est très préoccupant pour les revenus éditeurs.

The Media Leader : Le baromètre du programmatique sera publié dans quelques jours. Avez-vous déjà des tendances, sachant que les derniers montraient une érosion assez marquée de ce levier ?

Nicolas Rieul : Le mercredi 10 juillet au matin, nous révélerons les résultats de notre Baromètre programmatique pour le premier semestre 2024. Il vous faudra donc patienter encore un petit peu pour obtenir ces chiffres. Notre Baromètre suit l’évolution du marché programmatique du côté éditeur (supply), en excluant les wall gardens et les broadcasters. Les tendances à la baisse des investissements dans le display observées l’année dernière semblent se stabiliser. En ce qui concerne les investissements en natif programmatique (qui correspond à l’achat de display sous forme de texte et d’image), ils s’effondrent après une forte progression l’année dernière. Cette inversion des courbes est due à une innovation marché que nous expliquerons lors de la dernière présentation du mercredi 10 avril. Les investissements en audio digital continuent de progresser et les investissements vidéo remontent fortement au premier semestre 2024 après une année 2023 à la baisse. Cependant, nous constatons une forte baisse généralisée des CPM, ce qui est très préoccupant pour les revenus éditeurs.

The Media Leader : En décembre dernier, le cabinet EY Fabernovel a dévoilé son baromètre de l’attractivité de la France, s’interrogeant sur la préparation du pays pour les défis de 2030. Comment le secteur du marketing digital peut-il y prendre part ?

N.R. : Nous avons régulièrement échangé avec les équipes d’EY sur ce sujet de l’attractivité. J’ai même eu la chance de pouvoir, au nom de l’Alliance Digitale, témoigner des enjeux pour le marketing digital en France. Lorsqu’on lit ce baromètre, on se rend compte que l’attractivité est multifactorielle. C’est évidemment attirer des investissements comme des talents étrangers mais c’est aussi la capacité d’offrir pour les entreprises locales un cadre propice à l’innovation et à la recherche. C’est précisément sur ce point-là qu’il me semble que le marketing digital a un rôle à jouer. Nous sommes une industrie hautement innovante, le rapport que nous avons conduit avec EY Fabernovel en janvier dernier le rappelle : les 9000 entreprises du marketing digital dont 96% de TPE/PME consacrent en moyenne 8,3% de leurs chiffres d’affaires à la R&D, c’est davantage que les télécommunications par exemple. Il me semble que c’est grâce à cela et à notre héritage que nous avons su créer des entreprises très performantes dans le secteur et plus qu’ailleurs en Europe. Pour autant, le marketing digital est aussi largement dominé par une poignée d’acteurs étrangers, ce qui pose de nombreuses difficultés. L’idée n’est pas ici de rejeter leur présence, bien au contraire, j’aimerais que l’on puisse se targuer d’avoir construit des gatekeepers européens ! Pour que le marketing digital prenne part à l’attractivité de la France d’ici à 2030, il nous faudra être en capacité de concilier de nécessaires investissements étrangers de grandes entreprises de la tech avec des objectifs politiques de long terme qui devraient chercher à nous rendre plus souverains et autonomes.

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