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Philipp Schmidt (Prisma Media) : « Nous allons vers plus d’individualisation des parcours publicitaires »

Philipp Schmidt (Prisma Media) : « Nous allons vers plus d’individualisation des parcours publicitaires »
Philipp Schmidt, directeur général de Prisma Media, nous dévoile son plan d'action.

INTERVIEW DU LUNDI. Prisma Media, filiale de Louis Hachette Groupe (Vivendi), a dû adapter son modèle économique après la vente imposée de Gala, qui représentait un tiers de sa rentabilité. Cette restructuration a conduit à des plans de départs volontaires pour assurer la pérennité du groupe et maintenir sa capacité d’investissement. Dans ce contexte, Prisma a accéléré sur le Pôle Luxe, tout en renforçant sa position dans la publicité digitale, visant l’optimisation de la pression publicitaire. Philipp Schmidt, directeur général de Prisma Media, nous dévoile son plan d’action.

The Media Leader : Quel bilan tirez-vous de 2024 pour Prisma Media ?

Philipp Schmidt : 2024 a été une année charnière pour Prisma Media, marquée par l’exécution de notre stratégie visant à renforcer notre position en tant que leader des marques médias désirables. Nous avons opéré une refonte profonde de plusieurs de nos titres historiques, avec l’objectif de leur redonner toute leur attractivité et leur pertinence sur le marché.

Nous avons par exemple complètement repensé Capital avec Elodie Mandel, un titre emblématique qui avait perdu en dynamisme. Nous avons revu son positionnement éditorial et visuel, renforcé son identité et augmenté son prix de vente de 4,90€ à 5,50€. Cette nouvelle approche a été immédiatement payante puisque nous avons observé une progression de 11 points de tendance sur les cinq premiers numéros suivant cette refonte.

Dans le même esprit, nous avons relancé Géo avec une nouvelle formule, sans modifier son prix, et les résultats sont tout aussi encourageants. Depuis le lancement de cette nouvelle version, les ventes moyennes des neuf derniers numéros ont progressé de 10% par rapport à l’année précédente. Dans un marché de la presse en pleine mutation, ce succès démontre que le travail éditorial et l’investissement dans la qualité des contenus restent essentiels.

Nous avons également poursuivi notre expansion avec le développement du Pôle Luxe, qui regroupe désormais une dizaine de marques. Ce pôle représente aujourd’hui environ 10% du chiffre d’affaires de Prisma et comprend des titres comme Harper’s Bazaar, qui a enregistré une forte croissance en 2024, notamment sur le digital. Nous lançons fin mars, The Good Life, en l’intégrant pleinement à notre stratégie, avec une refonte totale de son identité et de son positionnement.

Enfin, nous avons lancé de nouveaux titres, comme Cuisine AZ, un magazine né du digital qui s’adresse aux passionnés de gastronomie. C’était un pari ambitieux, mais il répond à une demande croissante d’un lectorat en quête de contenus culinaires premium.

TML : Prisma Media a récemment investi le secteur du luxe avec le lancement de Harper’s Bazaar et l’acquisition de titres comme MilK et Côté Maison. Pouvez-vous détailler votre stratégie pour renforcer votre présence dans ce segment ? Et qu’en est-il du public masculin avec Harper’s Bazaar Homme ?

P.S : Le développement de notre Pôle Luxe a été l’un des grands projets de 2024. Jusqu’ici, Prisma était principalement reconnu pour ses marques grand public et ses verticales bien établies comme le féminin, la presse télé ou encore l’actualité économique. Avec le luxe, nous avons identifié une opportunité stratégique forte, car le marché des médias premium reste dynamique, notamment sur le print et le digital.

Notre approche repose sur trois piliers. Le premier consiste à renforcer des marques puissantes et désirables. Nous avons lancé Harper’s Bazaar, un titre iconique de la mode, qui s’est rapidement imposé sur le marché français. Grâce à un positionnement éditorial haut de gamme et une forte présence digitale, la marque a enregistré une croissance significative en 2024. Aujourd’hui, Harper’s Bazaar est devenue la première marque du groupe Prisma en chiffre d’affaires print publicitaire, surpassant des titres historiques comme Femme Actuelle. Ce succès démontre l’appétit des annonceurs pour des médias ancrés dans l’univers du luxe. Parallèlement, nous avons acquis MilK, une marque référente dans la mode enfant et la décoration. Son positionnement unique attire des marques premium et nous permet d’explorer des activations innovantes, notamment à travers des collaborations exclusives et des événements dédiés. L’acquisition de Côté Maison et de ses déclinaisons Côté Sud, Côté Ouest et Côté Est nous a également permis de nous imposer comme un acteur clé dans la décoration haut de gamme. Ces titres bénéficient d’un lectorat fidèle et d’une forte crédibilité auprès des annonceurs du secteur de l’art de vivre.

Le développement de notre Pôle Luxe a été l’un des grands projets de 2024

Le deuxième pilier repose sur le développement d’un écosystème multimédia autour du luxe. Nous ne nous limitons pas au format print, mais déployons une approche globale sur trois axes. D’abord, l’édition de magazines conçus comme de véritables objets, façonnés avec exigence pour répondre aux attentes du secteur. Ensuite, une expansion digitale et sociale, qui permet d’amplifier le rayonnement de nos titres. Harper’s Bazaar France, par exemple, est devenue la première édition mondiale de la marque sur TikTok, avec plus de 700 000 abonnés en deux ans. C’est un levier clé pour toucher une nouvelle génération de consommateurs de luxe et renforcer l’influence de la marque. Enfin, l’événementiel constitue un axe stratégique, avec l’organisation de salons et de pop-up stores. Nous avons testé avec succès des boutiques éphémères sous la marque MilK, et nous comptons poursuivre ce développement. En parallèle, nous travaillons sur des licences et collaborations, comme un partenariat avec Veja pour une collection de sneakers enfants, ou encore avec le concept store « Merci » pour une gamme de linge de maison signée MilK.

Le dernier pilier concerne l’ouverture au public masculin, avec notamment le lancement de Harper’s Bazaar Homme et la refonte de The Good Life. Le luxe ne se limite pas à la mode féminine, et nous avons identifié un potentiel fort du côté masculin. 2025 sera l’année de l’accélération sur ce segment. En octobre, nous lancerons Harper’s Bazaar Homme, une déclinaison du magazine destinée à un lectorat en quête d’élégance et de contenus mode et lifestyle haut de gamme. Parallèlement, nous avons acquis et entièrement repensé The Good Life, un titre emblématique du lifestyle masculin premium. Cette refonte s’appuie sur une nouvelle équipe éditoriale dirigée par Paul Miquel, aux côtés d’Anne Boulay, ancienne rédactrice en chef de GQ et Vanity Fair, et de Yorgo Tloupas, directeur artistique reconnu dans l’univers du luxe. La nouvelle formule sera lancée en mars, avec un positionnement résolument premium et international. En développant ces deux marques, nous allons proposer une offre masculine complète et différenciante, à la croisée du lifestyle, du business et de la mode.

TML : L’événementiel semble être un axe fort de votre stratégie luxe. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos ambitions ?

P.S : Absolument. L’événementiel est un levier stratégique majeur, car il permet de renforcer l’expérience autour de nos marques et d’engager directement nos audiences. Dans l’univers du luxe, la rencontre physique reste essentielle, et nous avons identifié plusieurs formats à fort potentiel.

Nous allons notamment renforcer nos salons de décoration haut de gamme. Le Salon Côté Sud, organisé à Aix-en-Provence chaque année, attire plus de 25 000 visiteurs et rassemble 200 exposants dans un cadre exceptionnel. Pour 2025, nous allons l’étendre à Montpellier, afin de toucher un public encore plus large.

Sur la mode et l’art de vivre, nous testons des expériences immersives, notamment des collaborations avec des créateurs et des maisons de luxe pour créer des événements exclusifs sous l’égide de Harper’s Bazaar et MilK.

Enfin, nous explorons le contenu audiovisuel, avec des formats sociaux innovants et des productions vidéo pensées pour des plateformes comme Instagram et TikTok, où nous avons déjà démontré notre capacité à fédérer des communautés engagées.

En somme, le Pôle Luxe est une priorité stratégique pour Prisma. Nous avons les marques, les audiences et l’expertise pour nous imposer durablement sur ce marché, avec une approche premium et omnicanale.

TML : Prisma a aussi décidé de confier la commercialisation de ses marques grand public en région à Ketil. Pourquoi ce choix ?

P.S : La collaboration avec Ketil s’inscrit dans notre volonté d’optimiser notre force de frappe commerciale. Nous avons choisi de confier la gestion de nos 30 marques grand public à une seule régie capable d’apporter une approche stratégique globale et alignée avec nos ambitions.

Ketil partage nos valeurs et notre vision du marché, avec une culture fortement orientée business et digitale. En confiant la commercialisation de nos inventaires à une équipe dédiée, nous pouvons maximiser les opportunités auprès des annonceurs régionaux, qui sont un relais de croissance essentiel.

Cet accord nous permet aussi d’être plus agiles et de concentrer nos propres ressources internes sur des segments plus spécifiques, comme le luxe, qui est toujours géré par La Compagnie Media.

Nous avons mené ces ajustements avec responsabilité, en privilégiant des départs volontaires et en accompagnant nos collaborateurs dans leur transition

TML : Après les plans de départs volontaires qui ont touché des titres comme Capital et Géo, vous envisagez de nouvelles ruptures conventionnelles collectives au sein de Prisma Media. Pourquoi ?

P.S : L’un des événements marquants pour Prisma en 2024 a été la vente imposée de Gala par la Commission européenne dans le cadre du rachat de Lagardère par Vivendi. Cette cession a eu un impact considérable sur notre modèle économique. Gala représentait environ 10 à 15% de notre chiffre d’affaires, mais surtout un tiers de notre rentabilité. Son départ a donc créé un déséquilibre qu’il a fallu corriger.

Nous avons dû adapter notre structure pour garantir la rentabilité du groupe tout en poursuivant nos investissements stratégiques. Prisma reste l’un des rares groupes de presse en France à afficher une rentabilité solide, et cela nous permet de continuer à innover et à développer de nouveaux projets. Nous avons mené ces ajustements avec responsabilité, en privilégiant des départs volontaires et en accompagnant nos collaborateurs dans leur transition.

Cette rationalisation était aussi nécessaire pour anticiper les évolutions du marché. Le secteur de la presse est en perpétuelle transformation, et nous devons être en mesure d’investir dans des initiatives clés, comme le digital, le content to commerce, l’événementiel ou encore le développement de nouvelles synergies avec nos partenaires.

Gala représentait environ 10 à 15% de notre chiffre d’affaires

TML : Le service PassPresse disponible sur Canal+, également dans le groupe Vivendi, a été récemment interrompu. Quelles ont été les raisons de cet arrêt, et quelles leçons en tirez-vous pour vos futures initiatives numériques ?

P.S : Passpresse était une initiative ambitieuse visant à proposer une alternative aux e-kiosques existants, en offrant aux abonnés de Canal un accès à une large sélection de magazines. L’idée était de prouver que Prisma pouvait se positionner comme un acteur technologique à part entière.

Nous avons réussi à développer cette plateforme en un temps record, avec une équipe dédiée et une approche tech first. Malheureusement, Canal+ a décidé de mettre fin à cette collaboration, ce qui a stoppé notre projet en B2C. Nous comprenons cette décision, qui s’inscrit dans un contexte de priorisation stratégique pour Canal, notamment en vue de son introduction en bourse. Je tiens à remercier sincèrement la confiance des éditeurs qui nous ont accompagné.

Passpresse a prouvé que nous étions capables d’innover rapidement et de proposer des solutions technologiques concurrentielles aux plateformes existantes. Nous en tirons de précieuses leçons pour l’avenir.

TML : Prisma Media a été en tête des groupes de presse sur le numérique en 2023, selon l’ACPM. Quelles sont vos priorités stratégiques pour 2025 afin de maintenir et renforcer cette position, notamment face à la concurrence croissante des plateformes digitales ?

P.S : Le digital est un enjeu central pour Prisma, et nous avons mis en place une stratégie offensive pour nous adapter aux nouvelles dynamiques du marché. Nous nous concentrons sur deux axes majeurs : la puissance de nos marques et l’innovation en matière de publicité digitale.

D’abord, nous investissons dans nos marques pour qu’elles restent incontournables. Mortelle Adèle, par exemple, est un excellent cas d’école : en seulement deux ans, nous avons doublé les ventes du magazine, atteignant aujourd’hui 65 000 exemplaires vendus par numéro. Ce succès démontre que nous avons la capacité d’imposer de nouvelles marques sur des segments où Prisma n’était pas historiquement présent.

Nous allons également challenger nos intermédiaires

TML : Avec le lancement de Prisma Ad Manager, vous avez manifesté une volonté d’accélérer sur le self-service publicitaire. Quels sont les premiers retours de cette initiative, et comment envisagez-vous son évolution pour répondre aux besoins des annonceurs ?

P.S : Nous avons lancé Prisma Ad Manager, une plateforme qui permet aux PME d’accéder plus facilement à nos inventaires. Jusqu’à présent, les grands groupes médias s’adressaient principalement aux annonceurs nationaux et internationaux via les agences. Or, une grande partie du marché publicitaire repose aussi sur des annonceurs locaux qui disposent de budgets plus modestes. Avec Prisma Ad Manager, nous leur offrons une solution simple et efficace pour diffuser leurs campagnes sur nos marques, avec des tickets d’entrée à partir de 500 €. Nous avons déjà enregistré des campagnes allant jusqu’à 15 000€, ce qui montre qu’il y a un véritable potentiel.

Nous investissons également dans le retail media, qui représente une opportunité considérable. En partenariat avec des enseignes comme La Redoute et Spotify, nous permettons à ces acteurs d’exploiter nos inventaires pour toucher des audiences qualifiées, tout en maintenant un environnement brand safe.

En parallèle, nous poursuivons une stratégie d’optimisation des parcours utilisateurs et d’amélioration de la monétisation publicitaire, tout en veillant à préserver l’expérience des lecteurs. L’un des axes majeurs concerne la gestion de l’exposition et de la pression publicitaire. Nous entrons dans une phase d’innovation qui nous permettra d’adapter la diffusion des formats publicitaires en fonction du comportement des utilisateurs. L’idée est de mieux calibrer l’affichage des publicités en prenant en compte la profondeur de navigation, le temps passé sur le site et l’interaction avec les contenus. Concrètement, cela signifie que nous ajusterons la pression publicitaire en fonction du type de visiteur : un utilisateur qui consomme intensément nos contenus pourra voir des formats plus immersifs, tandis qu’un autre, plus occasionnel, bénéficiera d’une expérience allégée. Cette approche vise à maximiser la valeur générée par chaque visiteur, en optimisant ce que l’on appelle l’ARPU (Average Revenue Per User), tout en évitant l’excès de publicité qui pourrait nuire à l’engagement.

Nous cherchons à conjuguer performance publicitaire et respect de l’expérience utilisateur

Par ailleurs, nous allons également challenger nos intermédiaires, notamment certains resellers qui n’apportent pas suffisamment de valeur ajoutée dans notre chaîne de monétisation. Aujourd’hui, une part importante des revenus publicitaires digitaux passe par des intermédiaires technologiques, et nous avons identifié des marges de progression pour rendre cette chaîne plus efficace. Nous allons ainsi rationaliser ces partenariats et renforcer notre contrôle direct sur la commercialisation de nos inventaires, en accentuant nos efforts sur le Supply Path Optimization (SPO). Cette démarche vise à raccourcir le chemin entre l’annonceur et l’espace publicitaire, en supprimant les intermédiaires superflus afin d’améliorer la transparence, d’augmenter nos marges et de garantir une meilleure visibilité aux annonceurs.

Nous cherchons à conjuguer performance publicitaire et respect de l’expérience utilisateur, en adaptant les parcours publicitaires de manière plus intelligente et en reprenant davantage la main sur la commercialisation de nos inventaires. L’objectif est d’offrir aux annonceurs des solutions plus efficaces et mieux intégrées, tout en garantissant à nos audiences un environnement publicitaire de qualité.

Sur la régie, nous explorons aussi des usages comme l’assistance aux commerciaux

TML : L’IA prend une place croissante dans les médias. Comment Prisma l’intègre-t-il ?

P.S : L’IA est un véritable game changer, et nous avons pris ce virage très tôt chez Prisma. Nous avons constitué une task force pilotée par Pascale Soquet et Maël Montarou, qui travaille sur des cas d’usage concrets.

Nous avons déjà mis en place plusieurs applications, comme un chatbot sur « Ça m’intéresse », capable de répondre aux questions des lecteurs en s’appuyant sur l’ensemble des archives du magazine. L’IA nous aide également à contrôler la cohérence de nos contenus, par exemple en vérifiant les quantités dans nos recettes de cuisine ou en mettant à jour automatiquement les biographies des célébrités pour Voici.

Sur la régie, nous explorons aussi des usages comme l’assistance aux commerciaux, avec des agents IA capables d’agréger des insights sur un annonceur avant un rendez-vous et de proposer des recommandations adaptées.

L’IA pourra également proposer des recommandations personnalisées, en s’appuyant sur l’offre de Prisma et sur les besoins spécifiques des annonceurs. Un commercial disposera ainsi d’un assistant intelligent capable d’identifier les solutions les plus pertinentes à mettre en avant en fonction des objectifs marketing du client, qu’il s’agisse d’une campagne display, de sponsoring de contenus ou d’une activation sur le social. Cette approche permettra non seulement d’améliorer l’efficacité des échanges, mais aussi d’apporter plus de réactivité et de valeur ajoutée aux propositions commerciales.

TML : Prisma Media place la RSE au cœur de sa stratégie. Quels sont les principaux objectifs ESG que vous vous êtes fixés pour les prochaines années, et comment comptez-vous les atteindre ?

P.S : Notre engagement RSE s’articule autour de trois axes. D’abord, en tant qu’entreprise, nous réduisons notre empreinte carbone, notamment en relocalisant l’impression de nos magazines en France et en réduisant notre consommation énergétique. Ensuite, nous favorisons la diversité en interne et travaillons avec la mairie de Gennevilliers pour intégrer des jeunes issus de quartiers défavorisés.

Enfin, nous avons un rôle à jouer en tant que média : nos contenus sensibilisent les Français aux enjeux environnementaux et sociétaux, et nous accompagnons nos annonceurs dans leurs démarches RSE en leur proposant des outils comme notre calculateur carbone.

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