Roch Osenda et Julien Boyer (Wavemaker) : «L’humain reste au cœur de notre agence, même à l’ère de l’IA»
INTERVIEW. À la tête de Wavemaker France (GroupM-WPP) depuis 2023, Roch Osenda et Julien Boyer, les deux co-CEO, partagent une vision audacieuse de la transformation de l’agence. Alliant complémentarité et intelligence collective, ils adaptent leur modèle pour répondre aux nouvelles attentes du marché publicitaire et aux défis de l’écosystème médiatique. Dans cette interview, ils reviennent sur les enjeux d’une co-direction, le rôle central de l’intelligence artificielle, et l’initiative « Back to News » visant à redonner du pouvoir aux médias français. Wavemaker en France marque également un coup majeur avec le pilotage du budget média d’Amazon remporté par GroupM/WPP en Europe, illustrant sa capacité à attirer les plus grands comptes.
The Media Leader : Pourquoi avoir choisi une co-direction pour Wavemaker France ?
Roch Osenda : Nous croyons énormément à l’intelligence collective, que ce soit entre nous ou pour l’ensemble de l’agence. L’humain est au cœur de notre approche, malgré l’essor de l’IA et des technologies. Avec Julien, nous avons des profils très complémentaires, ce qui nous permet de bien répartir nos rôles : Julien supervise le New biz, le trading, et les ressources humaines, tandis que je m’occupe du consulting, de la data, du contenu, et du marketing. Cette complémentarité facilite la gestion des grands comptes et des relations transversales avec GroupM, notre maison-mère, où nous siégeons tous les deux au COMEX. Cette organisation est essentielle pour mener à bien notre projet de transformation, tout en restant connectés à la réalité de l’agence au quotidien.
Julien Boyer : Avec Roch, nous travaillons ensemble depuis 17 ans et avons une relation professionnelle fondée sur la confiance et la complémentarité. Nos clients, qu’ils soient internationaux comme Axa et TotalEnergies ou champions français, bénéficient de cette double expertise. Notre co-direction permet de diviser les responsabilités et de structurer l’agence autour d’une vision unifiée.
Nous avons créé une équipe dédiée de 15 personnes au sein de l’entité Open Door, spécialement mise en place pour gérer le compte Amazon.
The Media Leader : Comment cette organisation se traduit-elle au quotidien ?
Roch Osenda : Ce fonctionnement en duo permet une répartition claire, notamment pour gérer des clients concurrents. Par exemple, je supervise le groupe COVEA tandis que Julien prend en charge Axa. Ce « mur de Chine » interne assure la confidentialité et la spécialisation des expertises pour chaque client. Nous abordons ensemble des sujets comme la finance et la relation avec notre actionnaire, mais nous avons aussi des missions spécifiques chez GroupM, notamment dans les domaines du content, de l’automatisation et de la transformation digitale.
Julien Boyer : Nous avons choisi des structures courtes et efficaces, sans DG ou COO intermédiaires, ce qui nous permet de rester connectés directement aux équipes et aux clients. Cette proximité favorise la rétention des talents et la confiance de nos clients, dont beaucoup sont avec nous depuis plus de 10 ans. Notre organisation est essentielle pour créer une dynamique humaine et transparente, surtout dans une période de mutation accélérée.
The Media Leader : Le gain du budget média d’Amazon est une victoire majeure pour GroupM en Europe. Comment vous êtes-vous organisés pour accueillir un annonceur d’une telle envergure ?
Roch Osenda : Gagner un budget comme Amazon est une étape importante pour nous. Nous avons créé une équipe dédiée de 15 personnes au sein de l’entité Open Door, spécialement mise en place pour gérer ce compte. Cette équipe est structurée en trois divisions, chacune dédiée à un « line of business » spécifique, pour couvrir tous les besoins d’Amazon, de l’activation des médias à la stratégie de marque. Nous avons aussi recruté des talents externes et mobilisé nos experts internes pour garantir une transition fluide et un onboarding complet d’ici au 1er janvier.
Julien Boyer : Amazon est un client exigeant avec une vision internationale, ce qui a nécessité une organisation et une adaptation rapide. Nous avons pu nous appuyer sur nos expériences passées avec d’autres grands comptes, comme Air France, Axa ou TotalEnergies, pour élaborer des process d’intégration très solides. De plus, notre structure et nos ressources internes nous permettent de répondre efficacement aux attentes d’Amazon, notamment grâce à une approche hybride entre le global et le local.
WPP investit 300 millions d’euros par an dans l’IA, notamment avec WPP Open, une plateforme dédiée à l’IA générative.
The Media Leader : Quels sont les principaux défis pour une agence média aujourd’hui ?
Roch Osenda : Notre métier nécessite une remise en question constante pour allier rétention et développement de new business. C’est là qu’intervient notre concept de « positive provocation ». L’objectif est de défier le statu quo et d’identifier de nouvelles sources de croissance grâce à la data. Nous avons récemment démontré ce principe lors d’une conférence dédiée aux plus de 35 ans sur les réseaux sociaux, un public souvent sous-exploité en termes de campagnes publicitaires.
Julien Boyer : La rétention et le développement sont au cœur de notre stratégie. La « Positive Provocation » nous aide à nous renouveler sans cesse pour apporter un regard neuf, même sur des comptes de longue date. Nous gérons deux types de pitchs : des pitchs internationaux en synergie avec notre réseau, et des clients locaux, notamment dans le retail où nous avons une expertise forte. Le contexte économique actuel exige des solutions sur mesure et renforce notre rôle de partenaire business.
The Media Leader : Quel rôle joue l’intelligence artificielle dans cette transformation ?
Julien Boyer : WPP investit 300 millions d’euros par an dans l’IA, notamment avec WPP Open, une plateforme dédiée à l’IA générative. Cet outil optimise des éléments comme la performance, les audiences, et le ciblage, ce qui nous permet de libérer nos équipes de tâches répétitives et d’améliorer la qualité de notre travail.
Roch Osenda : L’IA est un levier d’optimisation qui nous aide à mieux allouer les ressources, mais elle n’a pas pour but de remplacer nos collaborateurs. Notre outil « Architect » utilise des données business pour proposer des scénarios d’allocation optimale en fonction des objectifs de chaque client. L’IA permet de se concentrer davantage sur les analyses stratégiques et de renforcer notre approche personnalisée.
The Media Leader : Comment Wavemaker s’inscrit-il dans la transformation de l’écosystème publicitaire français ?
Julien Boyer : En lançant « Back to News », nous avons voulu fédérer les médias français pour créer une offre de reach compétitive face aux grandes plateformes internationales. L’objectif est de proposer une alternative de qualité, avec des taux de pénétration élevés, qui valorise les médias locaux tout en répondant aux attentes de nos clients.
Roch Osenda : Cette initiative repose sur la complémentarité des marques médias françaises, comme TF1, Le Figaro, ou RTL. Elle crée un environnement publicitaire plus désirable pour nos annonceurs par rapport aux plateformes internationales. Avec « Back to News », nous souhaitons démontrer que les médias français peuvent rivaliser en termes de reach et d’impact, tout en renforçant le financement local.
The Media Leader : Selon vous, quels sont les défis et les tendances du marché publicitaire pour 2025 ?
Roch Osenda : L’année 2025 s’annonce complexe avec une inflation estimée à 10 % sur certains médias, alors que la croissance sera limitée. Nous anticipons des coupes budgétaires qui impacteront les agences médias. Notre rôle sera d’aider nos clients à optimiser leurs investissements et à chercher des relais de croissance. En termes de tendances, nous observons une accélération de l’adoption de l’IA et une approche holistique du search, intégrant le SEO, le SEA et dès demain les moteurs d’IA générative. Nous investissons aussi dans des formations pour que tous nos collaborateurs maîtrisent l’IA et puissent utiliser ces outils au quotidien.
Julien Boyer : La publicité audio et la réduction des chaînes d’approvisionnement (SPO) sont également en plein essor. Les plateformes d’audio digital prennent une place centrale pour certains annonceurs, et le SPO devient une réalité à grande échelle grâce à des tests approfondis sur les performances, les coûts, et l’empreinte carbone. Nous nous concentrons aussi sur l’attention, car les algorithmes permettent désormais d’optimiser les campagnes en fonction de ce critère. Notre objectif est de rester un partenaire stratégique pour nos clients dans un environnement en constante évolution.
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