Ronan Dubois (20 Minutes) : « Être à l’équilibre en 2025 passe par une transformation radicale de notre modèle »

INTERVIEW DU LUNDI. Ronan Dubois dévoile les ambitions stratégiques d’un média en pleine mutation marqué par l’arrêt du journal papier en 2024. Avec un modèle désormais 100% digital, 20 Minutes veut s’imposer comme un acteur clé de l’information et du divertissement. L’objectif ? Conjuguer audience et innovation pour atteindre l’équilibre financier dès 2025 après avoir confié une partie de la commercialisation de ses inventaires à 366. Pour cela, le média va mettre le paquet sur la vidéo en se rapprochant de 20 Minutes TV dont Ronan Dubois va être nommé président. Dans cette interview à The Media Leader, il détaille les ambitions et la nouvelle identité de 20 Minutes.
The Media Leader : Vous annoncez une nouvelle phase stratégique pour 20 Minutes, avec un rebranding et un recentrage sur le digital. Pourquoi ces décisions maintenant ?
Ronan Dubois : Ces décisions s’inscrivent dans un contexte de transformation profonde pour 20 Minutes. L’arrêt du papier en 2024 a marqué la fin d’une époque, mais c’était un choix nécessaire pour garantir la pérennité du média. Pendant près de 20 ans, notre modèle s’appuyait sur la gratuité et la proximité avec les lecteurs via une distribution dans les transports. Cependant, le Covid-19 a bouleversé notre écosystème : les confinements successifs ont stoppé la distribution, et les coûts de fabrication du papier sont devenus insoutenables.
Nous avons donc pris une décision stratégique majeure : recentrer 20 Minutes sur le digital, un domaine où nous étions déjà bien implantés (16 millions de visiteurs uniques par mois, 100 millions de vidéos vues selon Médiamétrie) grâce à des investissements précoces, notamment dans notre application. Le rebranding est une manière de marquer cette transition et de moderniser notre image pour refléter nos ambitions : devenir un acteur clé du digital, en offrant des contenus fiables, innovants et adaptés aux nouveaux usages.
Notre objectif est de maximiser la monétisation de chaque contenu en l’adaptant aux différents supports.
TML : La vidéo semble jouer un rôle central dans cette transformation. Pourquoi ce choix, et comment se déploie cette stratégie ?
R.D. : La vidéo est devenue incontournable dans les habitudes de consommation des audiences, en particulier des jeunes actifs urbains, qui constituent une part importante de notre lectorat. Nous avons donc décidé de structurer notre stratégie autour de ce format avec une ambition claire : faire de 20 Minutes une plateforme numérique globale (écrit, audio, vidéo, social, TV) d’information et de divertissement leader.
Nous produisons désormais entre 3 et 4 heures de contenu vidéo chaque jour. Cela inclut des émissions hebdomadaires de 26 à 52 minutes, centrées sur nos verticales éditoriales comme Planète, Vie Pro ou encore le lifestyle. Ces émissions sont conçues pour être fragmentées en capsules courtes, adaptées à une diffusion sur le site, l’application, les réseaux sociaux, YouTube et même sur notre chaîne 20 Minutes TV, disponible en Île-de-France via la TNT et sur les box TV.
Notre objectif est de maximiser la monétisation de chaque contenu en l’adaptant aux différents supports. Par exemple, une émission peut donner naissance à plusieurs capsules, intégrées à des articles enrichis, des stories Instagram ou des formats longs en replay. Cette approche nous permet non seulement de toucher un public plus large, mais aussi d’offrir un contexte premium aux annonceurs.
Nous avons enregistré entre 80 et 100 millions de streams en moyenne par mois en 2024 sur le seul site desktop et mobile, et nous visons à quadrupler ce chiffre d’ici la fin de 2025, grâce à une nouvelle stratégie de distribution sur les réseaux sociaux. Mais ce n’est pas seulement une question de volume : nous voulons également renforcer notre positionnement comme un média fiable, innovant, créatif et incontournable pour les marques qui cherchent des contextes de communication de qualité.
Aujourd’hui, 20 Minutes compte 120 salariés, dont 55 journalistes.
TML : Comment cette transition a-t-elle impacté vos équipes et votre organisation interne ?
R.D. : Nous avons complètement repensé notre organisation et renversé notre modèle de production pour l’adapter aux exigences du digital. Nous mettons fin à la tyrannie du support. C’est le contenu qui règne. On pense news, conso, culture, high tech, planète, lifestyle… et ce sont les supports qui s’en nourrissent, les contenus ruisselant sur l’ensemble des canaux.
Aujourd’hui, 20 Minutes compte 120 salariés, dont 55 journalistes. Nous avons musclé et créé un pôle numérique dédié, qui regroupe des experts en social media, SEO, des éditeurs de contenu et des data analysts. Ce pôle est responsable de la stratégie de distribution des contenus sur les plateformes et travaille main dans la main avec la rédaction pour optimiser l’impact de nos publications.
En parallèle, nous avons renforcé nos équipes dédiées aux opérations spéciales (OPS) : planeurs stratégiques, créatifs, chefs de production. Cette activité représente 20 % de nos revenus aujourd’hui et l’objectif est de tripler ce chiffre d’ici trois ans. Ces équipes travaillent sur des activations innovantes, souvent conçues en lien avec nos verticales éditoriales.
Enfin, nous allons prochainement inaugurer deux studios, dont un plateau TV, concomitamment avec le lancement de notre nouvelle grille de programmes. Ce choix stratégique nous permet de produire des contenus de qualité broadcast tout en maîtrisant les coûts et en garantissant une parfaite cohérence avec la ligne éditoriale.
TML : Vous avez confié la commercialisation de vos espaces publicitaires classiques à 366. Pourquoi ce choix et quel bilan tirez-vous de cette collaboration ?
R.D. : Confier la régie publicitaire classique à 366 s’est imposé comme une évidence dans le cadre de notre transformation. 366 dispose d’une expertise reconnue sur le marché. Leur complémentarité avec notre positionnement national, particulièrement fort auprès des jeunes actifs urbains, a joué un rôle déterminant.
Concrètement, cette collaboration nous permet de bénéficier d’une structure commerciale rodée, capable de massifier les ventes d’espaces en gré à gré et en programmatique (open auction). Cela libère nos équipes internes pour qu’elles se concentrent sur des opérations spéciales (OPS) et des activations sur mesure.
En termes de bilan, les premiers mois de collaboration avec 366 sont encourageants. Les objectifs commerciaux sont en ligne avec nos attentes, même si le marché reste très concurrentiel. Enfin, ce partenariat garantit à 20 Minutes de préserver son identité en tant que marque forte et indépendante. Nos espaces sont commercialisés à la fois en stand-alone et dans des packs.
Les actionnaires ont clairement indiqué qu’ils ne renfloueraient plus les pertes de l’entreprise.
TML : Quel a été le rôle de vos actionnaires dans cette transformation ?
R.D. : Nos actionnaires, Ouest-France et Rossel, ont joué un rôle déterminant. Ils ont soutenu cette transformation en finançant les investissements nécessaires pour le digital et la vidéo. Cela dit, cette implication s’accompagne d’une attente forte : atteindre l’équilibre financier dès 2025. Les actionnaires ont clairement indiqué qu’ils ne renfloueraient plus les pertes de l’entreprise. C’est une pression supplémentaire, mais aussi une opportunité de prouver que nous sommes capables de bâtir un modèle économique durable, basé sur l’innovation et la diversification.
TML : Que signifie le rebranding pour l’identité de 20 Minutes ?
R.D. : Le rebranding symbolise notre entrée dans une nouvelle phase. Le logo reflète modernité, rapidité et modularité. Nous avons conservé le bleu historique, mais ajouté des couleurs pour différencier nos verticales éditoriales et structurer notre offre.
Au-delà de l’identité visuelle, ce rebranding marque notre volonté d’être un véritable compagnon du quotidien pour nos lecteurs. Nous voulons les accompagner de leur première info le matin à leurs activités de soirée, que ce soit un bon plan culturel, un conseil pratique ou une actualité qui les concerne.
TML : Quels sont vos objectifs économiques et éditoriaux pour les années à venir ?
R.D. : Notre objectif est de faire croître nos revenus de 15 % en 2025, avec une diversification axée sur trois piliers : la vidéo, les opérations spéciales et le brand content.
Sur le plan éditorial, nous voulons continuer à innover en enrichissant nos verticales et en développant de nouveaux formats. L’objectif est clair : renforcer notre rôle d’acteur hybride, à la croisée de l’information et du divertissement, tout en restant fidèle à notre ADN d’information gratuite, fiable et accessible au plus grand nombre.
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