Séverine Six (Meta) : « Nos audiences n’ont jamais été aussi fortes »

Interview du lundi. Après une année 2022 marquée par les premières pertes de son histoire et l’annonce d’un plan de suppressions de postes, le groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) veut rappeler ses fondamentaux et multiplie les innovations en s’appuyant sur l’intelligence artificielle, notamment pour booster l’efficacité de ses offres publicitaires.

L’application WhatApps connaît un fort développement du Business Messaging tandis qu’Instagram mise sur les Reels pour contrer TikTok ou SnapChat. Quelles sont les priorités en 2023 ?

Séverine Six, directrice des agences à Meta France, est l’invitée du lundi dans 100%Media.

100%Media : Pouvez-vous faire un premier bilan de l’année 2022 pour Meta ? Dans un deuxième temps, pouvez-vous nous dire comment a démarré l’année 2023 ?

Séverine Six : Alors que 2022 a été assez chahutée, on démarre 2023 en étant prêts, même si l’environnement est encore un peu particulier. Mais notre feuille de route est très claire pour 2023. De plus, les annonceurs et les agences que nous avons la chance d’accompagner sont raisonnablement optimistes. Donc, nous attendons beaucoup de cette année.

100%Media : Récemment, on a parlé de plans de licenciements assez importants dans l’ensemble de l’écosystème tech, et notamment chez Meta. En quoi ce type d’annonces impacte le business, vis-à-vis des agences et des annonceurs ?

S.S. : C’est un contexte qui n’est pas évident. Ceci dit, ce n’est pas une surprise puisque pendant les earnings de février, Mark Zuckerberg a été assez clair sur nos priorités et sur le fait de se concentrer sur nos piliers prioritaires. Donc, la réorganisation dont on parle était attendue.

Quant à nos priorités, je vais vous les détailler, mais elles sont très claires. Sur la partie business, nos fondamentaux sont très solides et plutôt au rendez-vous. On va sortir de cette période compliquée avec des résultats et des performances sur lesquels je vais revenir.

100%Media : Alors que vous êtes challengés par des nouveaux acteurs comme TikTok, comment vous adaptez-vous à cet univers concurrentiel pour rester désirable, innovant et apporter des solutions ?

S.S : Toujours lors de derniers earnings, nous avons aussi rappelé nos audiences qui n’ont jamais été aussi fortes. En effet, nous sommes en très bonne forme puisque nous avons plus de 3,7 milliards d’utilisateurs par mois à travers notre famille d’applications (Facebook et Instagram notamment). Nous avons plus de 3 milliards d’utilisateurs par jour, donc nous continuons à faire la course en tête. En France, nous avons plus de 30 millions d’utilisateurs par jour sur Facebook. Ça veut dire qu’un Français sur deux se connecte tous les jours sur Facebook.

100%Media : Quelle est votre réponse pour rester désirable auprès des jeunes, notamment face à des plateformes comme TikTok ?  

S.S. : L’univers de concurrence de Meta a toujours été challengé et c’est bien normal. C’est d’ailleurs pour cela qu’on n’attend pas de voir des challengers arriver pour innover. Nous lançons et testons beaucoup de nouveaux formats sur nos plateformes, sur Instagram et sur Facebook.

Quant aux jeunes en particulier, ils sont présents sur Facebook et sur Instagram. Selon les derniers chiffres de Médiamétrie, plus de 7 millions de 15-24 ans sont sur nos plateformes. On est évidemment à leur écoute et c’est la raison pour laquelle nous avons lancé Reels, ce format vidéo qui a été adopté très rapidement par les jeunes notamment.

100%Media : En tant que plateforme américaine avec des offres mondiales, comment gérer les relations avec les annonceurs et les agences ? Comment répondre à leurs besoins qui peuvent être très spécifiques ?

S.S. : Pour les agences notamment, puisque j’ai la chance d’accompagner les agences média et les agences de création, on doit avant tout être un facilitateur.

C’est-à-dire qu’on a en face de nous des grands experts de nos plateformes. Ils attendent de notre part qu’on leur transmette toutes les dernières innovations, les évolutions des produits, les roadmaps qu’on décrypte beaucoup parce qu’elles font évoluer leur organisation et leur expertise. On est là pour leur transmettre tout ce dont ils ont besoin pour accompagner les annonceurs, puisque c’est évidemment ça la promesse.

On est évidemment là aussi pour les aider à les former, notamment les jeunes recrues. On a des actions assez régulières auprès de nouveaux entrants dans les équipes, en agences médias ou agences de création. Et puis, on est aussi là pour répondre à toutes leurs questions.

100%Media : Où en êtes-vous sur les mesures d’audience, d’efficacité, de performance ? Que répondez-vous aux annonceurs et aux agences qui ont besoin de confiance quand ils investissent dans un média, à ce sujet ?

S.S. : Alors je rebondis sur la première question qui portait sur l’état de santé du marché et sur cette année 2022 qui a été assez chahutée pour des questions économiques et géopolitiques. Nous avons depuis beaucoup accéléré sur l’IA, qui est un des piliers de notre roadmap 2023 et qui a permis d’aller nourrir notre moteur de découverte… et également  le core business et nos offres publicitaires.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que pour répondre très simplement à la question que vous me posez, c’est la question de la performance. Quand on est dans un contexte chahuté, quand c’est compliqué d’un point de vue économique, le seul indicateur qui fasse vraiment foi, c’est l’efficacité. Donc on est sur des critères de performance objectifs.

Toute l’IA qu’on a pu diffuser au sein de notre offre publicitaire a permis une hausse de plus de +20% en moyenne de conversion supplémentaire sur le dernier trimestre 2022 par rapport à l’année précédente. Donc, on a répondu avec des réponses très claires de performance et d’efficacité.

100%Media : Quels sont les secteurs qui font le plus appel aux services de Meta ? Est-ce qu’en France, ce sont particulièrement les grands noms du luxe ?

S.S. : Avant de répondre à cette question, je rappelle que toutes les entreprises communiquent sur nos plateformes. Nous avons plus de 200 millions d’entreprises, qu’elles soient très grandes, moyennes ou petites. Le tissu économique est évidemment très présent sur nos plateformes.

En termes de gestion depuis Paris, nous avons la chance d’accompagner les grands fleurons de l’industrie française et le luxe en fait partie. Il s’agit aussi de gérer des campagnes multi-marchés. Depuis la France, nos équipes accompagnent les annonceurs sur des problématiques multi-marchés avec une vision globale. Le luxe en fait partie, mais toutes les grandes industries que vous retrouvez dans le monde entier sont évidemment très incarnées aussi en France, que ce soit l’automobile, le commerce ou le retail.

100%Media : Quelle est la transversalité possible entre WhatsApp, Facebook et Instagram au sein de Meta ? Comment rendre lisible votre offre et comment travaillez-vous la transversalité dans la commercialisation de vos offres auprès du marché publicitaire ?

S.S. : Comme je disais, nous avons affaire à des experts. Ils connaissent très bien Ads Manager et la façon d’opérer sur nos plateformes. Néanmoins, en parallèle de notre investissement sur l’IA, nous avons sorti des nouvelles solutions publicitaires qui permettent d’automatiser des campagnes très facilement et avec quatre critères. L’algorithme permet d’aller chercher des meilleures performances.

Pourquoi je vous dis ça ? Parce que ces solutions ont modifié un peu le travail des agences qui ont moins de temps à passer sur l’optimisation des campagnes, désormais automatisée. En revanche, elles ont besoin d’aller renforcer les pôles de conseils et d’idéations. Donc on leur apporte aussi des solutions qui font peut-être évoluer leur travail quotidien et qui leur permet d’être encore plus fort dans le conseil auprès des annonceurs.

100%Media : Concernant l’application WhatsApp, comment en faites-vous un produit publicitaire sachant qu’il n’y a pas de publicité dessus ?

S.S. : WhatsApp fait partie du business messaging et c’est une de nos priorités 2023. On voit bien l’appétence des annonceurs et des agences qui développent des expertises autour d’un modèle publicitaire comme par exemple le click to message. Concrètement, l’internaute se retrouve devant une publicité ou un message d’une marque et en un clic, il peut se retrouver sur le WhatsApp de la marque pour échanger avec elle. Nous sommes en train de découvrir tout ce qu’on peut faire sur cette application.

Par exemple, Air France vient de lancer dans 22 pays un chatbot qui permet en instantané d’avoir toutes les informations nécessaires concernant votre vol : l’heure exacte, la porte par laquelle vous allez rentrer, où vous enregistrer, où est la sortie, comment récupérer vos bagages… Et bien sûr, si vous avez besoin de rentrer en contact avec la marque, vous avez aussi cette option.

Je voudrais partager un autre exemple qui n’est pas sur le même modèle, mais qui est tout aussi efficace. Carrefour a un catalogue numérique au travers duquel il pousse des coupons via WhatsApp. Parmi les personnes qui reçoivent le catalogue sur WhatsApp, 45% l’ouvrent toutes les semaines alors que seulement 10% l’ouvraient sur mail.

Aujourd’hui, nous avons plus d’un milliard d’utilisateurs qui se connectent à une marque via un  des services de messagerie de Meta.

100%Media : Parlons maintenant cookieless, et notamment des conditions posées par Apple sur le suivi d’activation publicitaire. Comment vous adaptez-vous à ces conditions, qui impactent votre business et notamment la capacité à adresser directement les utilisateurs ?

S.S. : L’impact est réel et il est pour tout le marché publicitaire. Nous avons très vite proposé des solutions aux annonceurs et aux agences pour pallier cette disparition au travers notamment d’une solution qui s’appelle CAPI, pour Conversation API. C’est une API entre le serveur de l’annonceur et celui de Facebook qui permet de récupérer et de réintégrer des signaux online et offline afin d’être meilleur dans l’analyse et dans l’attribution.

On en a fait d’ailleurs une proposition dédiée aux agences. Ça s’appelle CAPI Multi Account qui permet de centraliser la gestion de différents annonceurs On a déjà du recul sur CAPI et on voit la baisse du coût par action de -13%. Nous voyons déjà l’impact immédiat du fait de la récupération de ces signaux et de leur meilleure attribution.

100%Media : Concernant la fin des cookies imposée par Google, comment vous adaptez-vous ? Est-ce que vous êtes déjà prêt à cette nouvelle politique de Google ?

S.S. : Nous serons totalement prêts parce que nous avons lancé CAPI. Nous sommes en capacité de récupérer ces signaux et d’améliorer la lisibilité des campagnes et de l’enrichir.

Nous serons aussi prêts grâce à l’IA. L’IA n’est pas uniquement faite pour améliorer un moteur de découverte, mais elle est surtout faite pour nourrir des modèles de machine learning qui permettent d’être bien meilleurs dans les performances d’une campagne. Grâce à l’IA, nous avons lancé une nouvelle solution publicitaire. Il s’agit d’un process de création de campagnes simplifié qui s’appelle Advantage Shopping Campaign. Cette solution publicitaire permet d’augmenter le retour sur investissement de l’ordre de +32%. C’est l’IA et le machine learning qui permettent de créer ces modèles et qui font qu’on est prêt.

100%Media : L’autre priorité des annonceurs aujourd’hui concerne la Brand Safety. Comment répondez-vous à ces besoins, sachant que vous êtes tributaire de contenus qui ne sont pas créés par vous ?

S.S. : C’est une priorité pour nous aussi. C’est-à-dire que la Brand Safety est au cœur de nos actions depuis la création de l’entreprise. Aujourd’hui, près de 94% des contenus haineux supprimés sur Instagram sont détectés proactivement par Meta avant tout signalement. Nous avons aussi des équipes de modérateurs qui permettent d’aller détecter et corriger ce qui pourrait ne pas être détecté par l’IA.

Par ailleurs, certains annonceurs peuvent demander à être dans des environnements particuliers. Ce qui est très facile, parce que quand vous implémentez une campagne sur le Ads manager, vous êtes en capacité de choisir les environnements. Donc vous avez, que vous soyez annonceur ou agence, cette capacité de choisir là où vous voulez être diffusé.

100%Media : Sur la polémique actuelle autour des influenceurs, quel est votre rôle ? Sachant que via Facebook ou Instagram, vous êtes des hébergeurs de contenus, qui peuvent être contestés ?

S.S. : Nous travaillons étroitement avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème de l’influence pour éduquer et promouvoir des pratiques d’influence en ligne responsables.  Nous avons par exemple lancé une campagne avec l’ARPP et la créatrice de contenu Cassandra Cano pour sensibiliser les créateurs et les marques aux bonnes pratiques.

Notre mission, c’est de créer des expériences réussies sur nos plateformes. Et les créateurs sont au cœur de nos plateformes et des contenus qui sont produits. Nous mettons donc tout en place pour que ce soit absolument conforme à nos standards de communauté et nos standards de prise de parole sur nos plateformes.

100%Media : Comment réagissez-vous quand certains influenceurs dérapent ?

S.S. :  Nous disposons de règles claires qui définissent les contenus qui sont autorisés ou non sur nos plateformes. D’ailleurs, nous avons fermé des comptes d’influenceurs quand ils ne respectaient plus nos règles.

Propos recueillis par François Quairel