Études & insights : l’IA a-t-elle réponse à tout ?
Aucun secteur n’est épargné par la révolution en cours du côté de l’intelligence artificielle générative. Ce n’est pas celui des études qui nous fera mentir ! Traitement des verbatim à grande échelle, nouvelle manière d’interroger les résultats d’une étude, extrapolation des réponses à un questionnaire ou même remplacement des membres d’un focus group… aucune tâche ne semble hors de portée de l’IA, pour peu que la donnée soit à disposition.
C’est ce qu’explique Assaël Adary, directeur général du cabinet d’études Occurrence (Ifop). Il multiplie les POC avec de grandes entreprises assises sur un véritable trésor de guerre en la matière : « Les résultats sont vertigineux. On peut intégrer facilement des données multilingues, créer des personas que l’on interroge, et générer des synthèses en quelques minutes seulement.»
Passer du constat à la prédiction
Le tout en se rapprochant du graal des études : « démontrer des liens de causalité et plus seulement des corrélations, et passer du constat à la prédiction.» Premier exemple qui a secoué le monde des études : la possibilité de générer des opinions de synthèse. « Dans les études, l’enjeu est d’offrir à la fois une vision exhaustive et granulaire d’un sujet. Pour être capable d’examiner l’opinion de sous-populations très étroites en conservant une robustesse statistique, il faut partir d’énormes bases de données, avec des milliers et des milliers de répondants. C’est très coûteux », rappelle le DG d’Occurrence. Sa maison mère, le Groupe Ifop, a passé un partenariat en octobre 2023 avec la start-up israélienne Fairgen dans le but de répondre à cette problématique via l’outil DataBoostAI : « Fairgen nous permet de fabriquer des opinions de synthèse fiables à partir d’une dizaine d’opinions réelles sur un sujet, afin de réaliser ces zooms et de faire ce travail d’extrapolation sur une base statistique viable.»
Prédire des opinions qui n’ont jamais été mesurées. C’est aussi l’essence d’une autre collaboration avec Fairgen, menée cette fois par le groupe BVA. Sa filiale Xsight a mis en place Pixel.AI, un outil lui aussi capable de créer ces opinions de synthèse, mais aussi de suggérer aux chargés d’études de nouvelles approches, tout en mettant en lumière certains insights passés potentiellement inaperçus. « Auparavant, il fallait déterminer avec précisions ses besoins avant de lancer un terrain d’étude. Pixel.AI va rendre les équipes plus agiles, dans le sens où elles pourront utiliser la donnée existante et la croiser avec de la donnée externe pour sonder de nouvelles problématiques, explique Emilie Boutes, Chief Innovation Officer de BVA. Il y a quelques mois, certaines études prédisaient que 40% de tâches d’un chargé d’étude pourraient être remplacées par l’IA. Mais avec du recul, on peut questionner l’intérêt de ces tâches ! De nombreux instituts ont lancé des outils pour automatiser la programmation d’un questionnaire et en analyser les résultats. Mais pourquoi faire de nouveaux terrains d’études, si nous avons déjà la donnée à disposition pour adopter des approches prédictives ? »
L’IA renforce autant le quanti que le quali
La capacité de l’IA à traiter et faire parler un gros volume de données est-elle toutefois véritablement une avancée pour le monde des études ? Pour Emilie Boutes, la réponse est oui. L’IA ouvre la voie à de nouvelles offres et de nouvelles manières de répondre aux besoins des clients : « L’IA permet de personnifier les résultats d’une étude, en créant de nouvelles manières de délivrer la donnée. On peut générer des podcasts ou des vidéos explicatives, ou encore créer un avatar et lui poser des questions à partir des données de l’enquête et même au-delà. L’un de nos enjeux actuels est la création d’un “knowledge hub” qui rassemble et orchestre notre patrimoine data. »
Reste que l’IA n’a pas réponse à tout, et que son efficacité repose sur le fait d’atteindre un subtil équilibre : « Pour l’instant, on expérimente. On compare les opinions générées par l’IA avec celles de groupes de contrôle. Et il semblerait que les capacités prédictives de l’IA soient avérées. Mais bien sûr, il y a un bémol : on ne peut pas prédire l’aléas, l’imprévisible, l’idée “qui tue” de Nicolas Bordas et qui ne peut pas être le fruit d’une probabilité statistique. Or, c’est cette idée hors du cadre qui constitue encore sans doute l’insight le plus précieux », explique Assaël Adary. Ainsi, l’IA peut traiter l’exhaustivité des verbatim d’un sondage. Mais à quoi bon si elle ne permet pas de faire ressortir l’insight décisif de la masse ?
Pour Assaël Adary, « le développement de l’IA va revaloriser les techniques d’étude qui visent à capturer l’aléas. Directement ou indirectement, l’IA muscle les deux jambes des études, le quanti et le quali ! »
Vers une remise en cause du business model des instituts ?
Reste que l’IA s’attaque également à la discipline reine du quali : le focus groupe ! Jusqu’à présent, les agences utilisaient l’IA pour leur fournir des insights dans leur domaine d’expertise. On peut ainsi citer, de manière non exhaustive, l’intégration de l’IA à Converged d’Havas Media, qui permet aux planneurs et aux acheteurs médias d’obtenir des insights inédits sur les habitudes de consommation média et les centres d’intérêt de leurs cibles. Idem du côté de The BrandTech Group, qui a fait l’acquisition l’an passé de la plateforme Pencil, dont le but est d’industrialiser la création de formats publicitaires adaptés à tous les canaux et optimisés pour répondre aux objectifs spécifiques de l’annonceur.
Mais en dévoilant BrAInjuice début mars, Ogilvy a mis clairement un pied sur les plates-bandes des instituts. L’outil se base sur la technologie et les données de navigation en ligne des membres du panel de la startup CivicSync pour créer des jumeaux virtuels de ces derniers. Des jumeaux interrogeables en une fraction de seconde, et qui répondent dans « 80% des cas de la même manière que les membres du panel auxquels ils sont liés », affirmait Moshe Borouchov, CEO de CivicSync, lors de la présentation de l’outil à la presse.
Il était accompagné de Mélanie Huggins, Chief Strategy Officer d’Ogilvy Paris : « Mettre en place un focus groupe nécessite toujours un investissement important en temps et en argent. Avec cet outil, nous pouvons monter un panel international en un claquement de doigts, et permettre à nos stratèges de tester rapidement des hypothèses. » Une solution qui a fait l’objet d’un test pilote avec une célèbre enseigne de restauration rapide, et dont les insights seront mis à profit dans sa prochaine campagne.
Même s’il n’est destiné qu’aux planneurs d’Ogilvy, BrAInjuice interroge : le futur des études et des insights réside-t-il dans l’IA et le SaaS ? Les annonceurs pourraient-ils, un jour, confier le travail des instituts à des outils, entraînant le besoin pour les cabinets de repenser leur business model ?
Savoir prompter, expertise native des cabinets d’études
Réponses de nos experts : « Les clients auront la tentation d’internaliser, mais ils se rendront vite compte qu’ils ont besoin de notre expertise pour sortir du fameux “garbage in / garbage out” couramment évoqué pour parler des résultats de l’IA générative. Bien sûr, ils peuvent se former pour acquérir notre expertise en science comportementale, mais je pense qu’ils ont plutôt intérêt à transformer leur propre activité grâce à l’IA. Ils pourront toujours compter sur le fait que les agences évoluent en parallèle et continuent à leur offrir des prestations complémentaires en collaborant les unes avec les autres », affirme Emilie Boutes.
Elle est rejointe par Assaël Adary : « C’est valable pour toutes les agences : l’IA fait naître le besoin d’un “new deal” avec les annonceurs. Mais la vraie question est la suivante : qui crée la valeur ? L’IA ou celui qui l’utilise ? Et quel est le juste prix à payer pour cette valeur ? C’est certain, toutes les tâches ne seront plus valorisées de la même manière aux yeux du client. À nous de créer d’autres offres, mais aussi de défendre notre travail et notre expertise. Nos insights génèrent de la valeur pour les entreprises. Le risque avec l’IA, c’est qu’elle fournisse la même réponse à tout le monde. La différence se fait sur une chose : le tour de main de l’enquêteur. Il y a bien sûr aussi une expertise dans le traitement statistique et la mise en place de segments et de panels susceptibles de capter au mieux les évolutions de nos sociétés. Mais une grande partie de notre métier réside dans notre capacité à poser les bonnes questions. L’art du prompt, ça nous connait ! »
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