Gautier Picquet (Publicis Media) : « Nos clients commencent à apercevoir la crise dans le rétroviseur »
Interview du lundi. A l’occasion du lancement des 70ᵉ Cannes Lions, le président de Publicis Media France dresse un premier bilan à la mi-année 2023. Dans un contexte économique difficile, Publicis et ses filiales média enregistrent d’excellents résultats. Le groupe français est passé devant Omnicom au premier trimestre au niveau mondial, avec 3,4 milliards d’euros de revenus. TV, Netflix, retail media, IA, performance responsable, talents et Udecam… Gautier Picquet passe en revue les dossiers chauds du monde dans cet entretien à 100%Media (à écouter également en version audio).
100%Media : C’est le coup d’envoi de la 70e édition des Cannes Lions aujourd’hui. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Gautier Picquet : C’est un moment où on célèbre la créativité et nos métiers. Et je pense, que célébrer, ça fait du bien. C’est aussi un moment d’échanges international absolument incroyable avec tous nos homologues des pays. C’est la possibilité de rencontrer des dirigeants, entrepreneurs créatifs, des plateformes et des medias. Et c’est aussi un formidable moment où l’on peut gagner des prix parce qu’on aime gagner dans nos métiers pour célébrer le travail que l’on fait avec nos clients et remercier nos équipes.
J’espère que la France sera à l’honneur dans le palmarès et, plus égoïstement, que ce sera une magnifique cuvée pour Publicis.
100%Media : Les Cannes Lions ont beaucoup changé ces dernières années. La tech a pris le dessus sur la créativité même si les deux se rejoignent. Les GAFA sont très visibles. Netflix, qui s’est lancé dans la publicité, devrait être très présent. Est-ce l’évolution normale du marché de la publicité ?
G. P. : A Cannes, il faut faire la part des choses. Il y a ceux qui investissent (et peuvent le faire) et il y a l’ADN de Cannes qui continue à faire rayonner la créativité. C’est vrai que notre monde a énormément évolué. Il y a de plus en plus d’acteurs technologiques, des plateformes. Tout le monde a sa place à Cannes.
De toute cette évolution autour des plateformes médias naît une nouvelle créativité. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux mondes. Sans créativité, il faut toujours se dire que notre métier n’existe pas. Sans créativité, notre métier n’a pas de sens. Sans créativité, clairement, nous ne sommes pas capables de créer des imaginaires et être dans une démarche de progrès. Je pense qu’aujourd’hui, les nouveaux créatifs sont des véritables magiciens dans les métiers de la communication qui doivent intégrer ces nouvelles plateformes et ces nouvelles technologies. Mais aussi intégrer l’évolution des médias qui est en perpétuelle transformation. Je crois qu’on vit tout simplement, à Cannes, une nouvelle ère de la créativité qui est plus créative, plus engagée, plus inspirée et plus prometteuse. Elle est aussi plus respectueuse de toutes les composantes de l’écosystème.
Ce qui est sûr, c’est qu’on a quand même tous un peu la gueule de bois sur le premier trimestre car le début d’année n’a pas été bon
Gautier Picquet
100%Media : Le début de 2023 a été un peu difficile pour le marché publicitaire, notamment pour certains médias, comme la télévision. L’affichage ou la radio ont assez bien résisté. En tant qu’agence leader, quelle est votre vision de la situation ?
G. P. : C’est difficile parce qu’il n’y a rien de pire que de faire des prévisions. Clairement, je ne donnerais pas de résultat final à mi-année, car chaque mois est un match. Ce qui est sûr, c’est qu’on a quand même tous un peu la gueule de bois sur le premier trimestre car le début d’année n’a pas été bon. Le deuxième trimestre a été assez fragile mais avec des signaux encourageants. Maintenant, on espère tous que la fin de l’année soit très forte. Ce qui est certain, c’est que beaucoup de nos clients commencent à apercevoir la crise dans le rétroviseur. C’est donc un bon point ! On voit pas mal de secteurs commencer à réinvestir.
100%Media : Lesquels par exemple ?
G. P. : Les grands secteurs structurants du marché français répondent présents. Les résultats des grands groupes sont déjà meilleurs au deuxième trimestre. Mais je reconnais qu’il y a des secteurs qui souffrent, comme le secteur FMCG (grande consommation) et l’alimentaire qui est un peu plus en difficulté. On le voit clairement dans les investissements publicitaires.
Mais globalement, la France reste avec une tendance positive à l’année. Nous attendons de voir si les « forecasts » se réalisent et si nous allons vivre un vrai changement sur le long terme à partir de septembre et pour 2024, qui sera aussi portée par une forte actualité.
100%Media : Quels sont les comportements des annonceurs actuellement ?
G. P. : Très clairement, je pense que les annonceurs ont une vraie vision à court et long terme. La crise du Covid a permis de réfléchir sur l’effet instantané sur le ROI, mais aussi sur l’effet à long terme dans la construction d’une marque. De nombreux clients ont gagné en agilité et nous aussi, évidemment. Nous ne sommes que le reflet de nos clients. On a des plans qui s’inscrivent dans des grandes stratégies. Mais la stratégie qui ne bougeait pas d’un iota, ça n’existe plus, elle se réécrit chaque jour. Elle s’adapte aux flux des audiences, à l’actualité et aux opportunités.
100%Media : Le marché publicitaire TV décroche de 7% au 1er trimestre selon le Bump. Est-ce lié à un bouleversement du marché de la vidéo avec l’arrivée de toutes ces plateformes notamment Netflix, Disney et bientôt Amazon Prime ?
G. P. : Je ne ferai pas de corrélation avec Netflix ou Amazon. Mais ce qui est certain, c’est qu’on a une révolution du marketing du streaming et que les éditeurs vidéo le reconnaissent. On passe d’un marché qui était statutairement, en France, autour de la télévision à un monde plus global qui connaît une accélération du prisme multi vidéo. C’est vrai que la télévision a vécu quelques mois difficiles, notamment côté audiences.
La tendance publicitaire n’est que le reflet de l’audience. Maintenant, je pense que les acteurs de la télévision et de la vidéo travaillent d’arrache-pied pour réinvestir en programmes, trouver des innovations et changer leur business model.
Il ne faut pas oublier que l’année 2022 a été marquée par un projet de fusion TF1 / M6 qui n’a pas eu lieu. Maintenant, il doit y avoir des nouveaux projets qui apporteront de nouvelles réponses aux annonceurs.
Les annonceurs ne sont pas là pour regarder la baisse ou la hausse du marché publicitaire des médias, mais pour investir sur des audiences fortes et de qualité.
Donc j’encourage évidemment tous les éditeurs à continuer d’investir sur leurs programmes, à donner les meilleures audiences sur le long terme et je peux leur promettre que les investissements publicitaires seront là.
100%Media : Les chaînes TV privées veulent la suppression totale de la publicité après 20h sur France Télévisions. Quelle est votre vision à ce sujet ?
G. P. : J’encourage plutôt tout le monde à penser à la transformation de nos métiers et à protéger un écosystème publicitaire qui est déjà beaucoup trop régulé en France. Pour rappel, nous avons 240 lois qui entourent et encadrent la communication ! Je trouve dommage qu’on perde du temps à faire une guérilla interne et à régler ses comptes plutôt qu’à transformer le marché. Protégeons la qualité des programmes par l’investissement publicitaire associé. Ne créons pas des mythes de réallocation budgétaire.
J’encourage tout le monde à penser à la transformation de nos métiers et à protéger un écosystème publicitaire qui est déjà beaucoup trop régulé en France
Gautier Picquet
100%Media : Netflix est en train de créer sa propre régie en France. Pensez-vous que cet acteur va compter sur le marché comme TF1, M6 ou YouTube ?
G. P. : Chez Publicis Media, notre philosophie est assez simple. Nous conseillons à nos clients d’aller là où sont les audiences qu’on peut mesurer, comprendre, analyser et juger. Donc j’encourage fortement Netflix à avancer sur la mesure.
En France, comme à travers le monde, bien évidemment, Netflix fait partie d’un paysage formidable du marketing. La bonne question est plutôt : quel est le ROI que je vais y trouver ou quel est le bénéfice à long terme ? Après la période de test et des RP, les annonceurs en France veulent du résultat. Donc, oui, pour construire avec cette plateforme mais avec des règles partagées entre utilisateurs en France. La mesure et rien que la mesure.
Plusieurs rendez-vous sont prévus avec Netflix à Cannes, notamment avec l’ensemble des acteurs du marché, pour bien les écouter, ce qui est notre premier métier. Il y aura un travail à faire avec les différentes interprofessions et les instituts d’études. Mais je pense que l’on peut créer quelque chose et qu’il y a de la place pour eux.
100%Media : Publicis a des résultats incroyables. Au niveau mondial, vous êtes passés devant Omnicom. Quel est votre regard sur ce succès ? Comment réagit-on quand on remporte de tels succès ?
G. P. : Seul le travail et l’investissement auprès de nos clients comptent. On est dans un marché qui est très fragile et nous connaissons tous les phénomènes de rollercoaster. Les enseignements du passé nous montrent que l’on peut monter et très vite descendre. Ça nous est arrivé à tous, et ça nous arrivera encore.
Pour moi, le succès de Publicis, c’est une vision très forte portée aujourd’hui par Maurice Lévy et Arthur Sadoun. C’est l’engagement auprès de nos clients, l’engagement et encore l’engagement.
Chez Publicis Média, le succès est celui d’un formidable collectif que je remercie chaque jour. Maintenant, attention, ce que l’on construit est extrêmement fragile. Nous sommes là pour servir individuellement nos clients. Les annonceurs nous challengent tous les jours, parfois avec des pitchs. Nous devons leur prouver chaque jour que nous avons fait les bons choix au niveau des talents et des technologies. Chaque jour, nous devons être en capacité de nous auto-challenger pour toujours donner le meilleur de nous-mêmes, avec passion.
100%Media : Une agence média, c’est d’abord des talents. Mais ce métier a de la difficulté à attirer. Quelle est la stratégie de Publicis Media pour attirer les meilleurs, et notamment les jeunes ?
G. P. : Si j’avais la réponse, mes journées seraient beaucoup plus cool ! C’est difficile pour toutes les industries parce que le monde a complètement changé, après le Covid. Le « futur of work » est une formidable opportunité pour les talents, mais il est difficile à appréhender pour les entreprises. Faut-il offrir plus de travail à distance ? Quel droit à la déconnexion ? Chacun y va évidemment de ses sur promesses dans les contrats avec un enjeu de salaire qui est absolument colossal. Je pense que nous avons un enjeu de réexpliquer notre métier aux talents. La publicité n’est pas un métier que l’on décide de faire à sa naissance !
100%Media : N’est-ce pas simplement un rejet de la grande consommation, en lien avec les problématiques autour de l’environnement ?
G. P. : Je ne pense pas. La génération actuelle est privilégiée et avance avec des convictions qui sont très fortes et avec sa propre vision du monde de l’entreprise, en bénéficiant clairement d’une tension sur le marché du travail favorable. Qu’ils en profitent ! Mais tout bouge, on l’a vu par le passé. Il faut être franc, nous n’avons pas assez investi pour expliquer à cette nouvelle génération en quoi notre métier avait un pouvoir transformateur sur la société. Souvent, nous laissons les jeunes générations avoir un mauvais avis sur la publicité. L’enjeu est donc de faire beaucoup de pédagogie sur nos métiers.
Nous n’avons pas assez investi pour expliquer à cette nouvelle génération en quoi notre métier avait un pouvoir transformateur sur la société
Gautier Picquet
100%Media : Parlons intelligence artificielle ! L’IA a été un sujet au centre de Vivatech et va rythmer les Cannes Lions. Comment la publicité peut-elle s’emparer de ces technologies ?
G. P. : L’IA générative dont on parle plus aujourd’hui est hyper impactante dans les métiers de la production et de la création. Je pense qu’elle va révolutionner les métiers de la publicité. Chez Publicis, on travaille beaucoup sur les studios virtuels, sur la compréhension des risques et des limites. Nous engageons la responsabilité de nos clients.
Pour parfaitement appréhender ce nouveau monde, nous éduquons et formons tous nos collaborateurs. C’est essentiel. Petit à petit, nous créons des tests assez poussés sur des agences digitales, comme chez Razorfish ou avec notre outil Prodigious. Face à l’IA générative, nous savons que l’IA prédictive aura plus d’impact à court et moyen terme, pour les métiers du marketing et des médias. L’accélération clairement inédite de la puissance des algorithmes a déjà un impact sur les métiers du search et globalement du digital. Maintenant, très clairement, nous devons passer à l’automatisation d’une partie de la chaîne de valeur de nos métiers pour avoir plus de temps dans la réflexion stratégique. C’est une formidable ère de transformation qui commence.
100%Media : Il y a beaucoup d’initiatives autour de l’empreinte carbone, notamment la création de référentiels et de calculettes. Est-ce sincère ou est-ce du greenwashing ?
G. P. : Je pense que personne ne souhaite aller dans du greenwashing. Mais trop de calculette tuera la calculette. À force de vouloir tout calculer, on ne va rien calculer.
A un moment, il faudra une démarche constructive et collective. Je sais que tous les acteurs le souhaitent, mais il faut réussir à la mettre en œuvre.
Maintenant, attention, notre raison d’être est la connexion entre les marques et les consommateurs dans un cadre concurrentiel où la performance immédiate est le critère central. L’enjeu est donc d’attacher à la performance marketing la performance responsable et de prendre en considération tous les aspects de la responsabilité…. Que ce soit de l’environnement, de l’inclusion, de la responsabilité des médias sur la démocratie des médias.
Agissons, mesurons, progressons, tous ensemble.
100%Media : Il y a un an, vous avez quitté la présidence de l’Udecam. Thomas Jamet a été désigné pour conduire un nouveau conseil d’administration qui a été renouvelé avec une nouvelle organisation. Quel est votre bilan ?
G. P. : J’ai eu la chance de succéder à d’anciens présidents, notamment Raphaël de Andreis qui avait effectué un travail extraordinaire avec son bureau. J’ai essayé, entouré d’une équipe soudée, de faire ce que nous pouvions pendant mon mandat sur une période mouvementée avec le Covid. Merci encore à eux, c’était passionnant.
Je trouve que Thomas Jamet a fait un super travail lors de son premier mandat en me succédant. Bravo, très belle dynamique collective, pleine d’énergie et de progrès. Je souhaite personnellement qu’il soit renouvelé avec son équipe lors de la prochaine AG. Thomas et le bureau ont notamment apporté une nouvelle dynamique avec des Rencontres qui ont eu un grand succès.
100%Media : Comment arrivez-vous à construire ensemble dans un univers concurrentiel difficile ?
G. P. : Nous ne sommes pas des Bisounours ! Ne nous mentons pas, nous ne laissons pas cela au vestiaire ! Notre métier est beaucoup trop dans la compétition. Et quand on se rencontre, nous avons toujours en tête l’appel d’offres gagné ou perdu. On a toujours cette petite rancœur. Mais, au moins, nous avons l’honnêteté, à l’Udecam, de se le dire. C’est un très beau collectif de personnalités passionnés qui partage un enjeu central : comment, collectivement, pouvons-nous faire progresser ce métier. Et cela est bien le plus important.
Jusqu’à vendredi, retrouvez-nous au The Media Leader Cannes Café, près du Palais des Festivals, avec un dispositif éditorial exceptionnel : la newsletter 100%Cannes à 11h et le podcast Le Talk Cannes à 17h.
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