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Michèle Benzeno (Webedia) : « Les médias vont devoir se réinventer »

Michèle Benzeno (Webedia) : « Les médias vont devoir se réinventer »
Passée par Yahoo et M6, Michèle Benzeno dirige Webedia depuis 2015.

Interview du lundi. Depuis deux ans, le groupe Webedia a entamé sa transformation en s’appuyant sur les créateurs, la production et les médias en ligne avec des marques fortes comme Allociné, PureMedias ou 750g. Ce pivot a permis à ce groupe pionnier de diversifier ses revenus dans un environnement économique turbulent. Après un projet de vente en 2022, abandonné par son propriétaire, le groupe Fimalac, Webedia poursuit son développement en pariant sur la production et le livestreaming. Comment aller vers encore plus de responsabilité dans l’influence ? Comment trouver un modèle vertueux sur le partage des revenus ? Michèle Benzeno, DG de Webedia est l’invitée de The Media Leader.

The Media Leader : Quel bilan faites-vous de cette année 2023 ?

Michèle Benzeno : Nous tirons un bilan positif de l’année dans un contexte macro-économique incertain et un ralentissement du marché publicitaire grâce à la bonne résistance de nos verticales cinéma et série (+26% au box office sur le premier semestre 2023 vs 2022), l’offre SVOD foisonnante développée par les plateformes de streaming et le gaming très porteur en termes de nouveaux lancements, tant en France qu’à l’international.

Nos activités livestreaming se sont largement développées, portées par le succès et les très bonnes audiences de nos émissions récurrentes et talk show « Popcorn » et « Zen ». Enfin, le renouvellement de notre portefeuille de talents nous a permis de consolider notre position de leader de l’influence et de proposer aux marques de véritables carrefours d’audience au travers des formats premium incarnés par nos créateurs.

Nous avons développé de nouvelles verticales davantage centrées sur l’edutainement (Epicurieux, media social sur le savoir et la connaissance avec Jamy avec 7 millions d’abonnés) à très fort potentiel en termes d’audience et qui répond aux enjeux RSE des marques.

L’année 2023 a également été une année de consolidation pour le groupe. Pour rappel, en fin d’année 2022, nous avons lancé une nouvelle plateforme de marque, une nouvelle identité et un recentrage sur les métiers de contenus en France et à l’international autour de 3 activités : nos médias, nos talents et nos structures de production. Nous avons clarifié notre stratégie pour devenir un producteur et un distributeur de contenus originaux de divertissements dans l’univers du digital et au niveau mondial.

Nous développons une multitude de formats produits par nos journalistes, nos créateurs et producteurs ainsi que des marques partenaires. Ces contenus sont multi-distribués sur nos environnements propriétaires et plus largement sur tous les écrans et les canaux tiers (Web, social, TV et plateformes de streaming, réseaux sociaux, FAST, etc.).

Ce pivot dans la production et la distribution nous a permis de diversifier nos sources de revenus et de facto d’être moins dépendants de la conjoncture publicitaire.

Nous avons depuis 2 ans totalement transformé nos activités d’influence et nos relations avec les créateurs

The Media Leader : Le monde de l’influence a été fortement bousculé par de nouvelles réglementations et des polémiques. Comment Webedia s’est-il adapté pour préserver ses créateurs et leur capacité à être monétisés ?

M.B. : Tout d’abord, nous n’avons jamais été associés à la télé réalité où à l’influence commerciale. En tant qu’acteur leader de ce secteur et à l’origine du développement des créateurs pionniers sur YouTube en France, nous avons toujours été très vigilants sur la qualité des contenus proposés et aux associations de nos créateurs avec les marques.

Nous avons tout naturellement soutenu le développement et la création de l’UMICC, dont nous sommes membres, et faisons certifier nos talents au label d’influence responsable de l’ARPP. Nous organisons également des masterclass à destination de nos talents pour les former aux nouveaux usages liés à la réglementation, mais également de nos équipes en interne en relation directe avec tous les créateurs du marché.

Nous avons, depuis 2 ans, totalement transformé nos activités d’influence et nos relations avec les créateurs, qui aspirent aujourd’hui à devenir producteurs. Nous avons ainsi revu notre proposition de valeur basée sur la création de nouveaux formats où l’artistique et la premiumisation sont devenus majeurs. Nous mettons au service des créateurs, qu’ils soient exclusifs ou non, tout notre savoir-faire en termes de production, de distribution et nos capacités à développer de nouvelles audiences pour co-produire avec eux les nouveaux formats de demain. Cette nouvelle stratégie nous a permis de passer d’un statut d’agent d’influenceur à producteur de contenus et formats premium.

De fait, nous n’avons pas du tout été impactés par la réglementation du marché et bien au contraire, nous accueillons très favorablement la régulation du marché qui va dans le sens de l’évolution de notre modèle.

The Media Leader : Comment aller vers encore plus de responsabilité dans l’influence ?

M.B. : Les créateurs sont de plus en plus engagés à une cause et ont développé des raisons d’être : Inox Tag sur le dépassement de soi et la connexion à la nature au travers de son entraînement depuis un an pour gravir l’Everest ; Shayvize sur l’éducation ; Jamy Gourmaud sur le savoir ; Joyca sur la protection des animaux ; Sally sur la santé mentale des jeunes…

Nous développons de plus en plus de contenus “utiles” pour la société et pour les jeunes générations et qui répondent à leurs besoins de sens avec une mission autour « de divertir et apprendre ».

The Media Leader : L’audience sur Twitch continue de se renforcer, mais la plateforme semble cristalliser les critiques sur le partage de revenus. Quelle est votre position ?

M.B. : L’impact a surtout été très important pour les streamers, qui ont été amputés d’une bonne partie de leurs revenus. Mais, bien que d’autres plateformes soient beaucoup plus avantageuses, Twitch bénéficie toujours d’un leadership dans l’univers du livestreaming.
Par ailleurs, nous ne commercialisons pas l’inventaire classique de Twitch qui est sous l’égide de leur régie, nous avons bâti notre modèle sur la production de contenus dédiés aux marques.

The Media Leader : Vous organisez une nouvelle édition de The Creators Show le 29 novembre (dont The Media Leader est partenaire). En quoi cette Creators Economy peut-elle être vertueuse pour les marques ?

M.B. : En effet, après le succès de la première édition en 2022, nous avons décidé de renouveler l’expérience en donnant de nouveau la parole aux créateurs de contenus et aux marques qui les accompagnent. La Creators Economy s’est profondément transformée au cours des dernières années, et s’est surtout profondément professionnalisée.

Les contenus proposés par les créateurs sont dignes de productions TV, avec des formats courts, mais aussi des formats longs, que ce soit sur des productions chaudes en live, ou en froid avec des montages et des moyens de production colossaux. Et les marques soutiennent cette évolution tout simplement, car les audiences, et notamment les moins de 25 ans, sont sur ces médias.

Nous construisons avec elles des contenus dédiés qui deviennent natifs, cohérents en termes de messages et engageants en termes de transfert de valeur. La publicité devient du contenu divertissant et est mieux tolérée par les jeunes générations. Les marques présentes témoigneront d’ailleurs de l’efficacité et de l’impact de ces dispositifs d’influence tant sur la notoriété que sur l’intention d’achat.

The Media Leader : L’attention devient une métrique incontournable dans un monde des médias qui se morcèle et où il est difficile de capter certains publics, notamment les jeunes. Récemment, lors des Rencontres de l’Udecam sur les mesures, il est ressorti la nécessité d’imaginer des référentiels communs dans un monde où l’auto mesure s’impose. Quelle est votre réponse ?

M.B. : Nous sommes très conscients de la nécessité d’avoir des mesures partagées avec le marché, des méthodologies transparentes et robustes et surtout unifiées. Nous avons d’ailleurs donné accès aux audiences de nos chaines Youtube à Mediamétrie dans la mesure vidéo. Ce n’est malheureusement pas si simple, dans ce monde ultra-fragmenté avec des plateformes qui ont des métriques différentes.

Nous militons pour une mesure commune permettant de mesurer la consommation réelle sur les plateformes vidéos en concurrence avec des médias traditionnels comme la télévision

En tant qu’opérateur de contenus cross plateformes, nous rencontrons les mêmes problématiques que les annonceurs dans la convergence de la mesure cross plateformes. Mais nous militons pour une mesure commune permettant de mesurer la consommation réelle sur les plateformes vidéos en concurrence avec des médias traditionnels comme la télévision.

Il faudrait un référentiel unique et la responsabilité doit être alignée et partagée avec l’ensemble des plateformes.

The Media Leader : Twitch est-elle la nouvelle télévision des jeunes, alors que l’écran TV semble toujours central. Est-ce compatible ?

M.B. : On constate que les cibles jeunes consomment de moins en moins la télévision en linéaire. En revanche, nous constatons que les jeunes restent friands de programmes longs sur Twitch. Ils ne sont pas uniquement adeptes de format très courts comme on a pu le penser.

Cet attrait peut s’expliquer par le côté interactif et participatif (via le chat), qui permet à cette génération de faire entendre sa voix, par l’aspect culture commune également, où le fameux débrief de la machine à café se fait désormais en direct sur la plateforme. Enfin, c’est une plateforme avec une vraie fraîcheur et un parler vrai.

Cette génération valorise les efforts plus que la perfection. Ce qui pourrait paraître parfois comme du « bricolage » est très valorisé par eux.

Les formats phares sur Twitch s’inspirent de la TV notamment via le développement de talk show, le format « React » commentaires en live à partir de formats TV se développant de plus en plus et nous croyons de plus en plus à la convergence entre Twitch et la TV, notamment via des grands événements sportifs (comme avec la diffusion d’un match RMC Sport sur la chaîne Twitch de Domingo). Twitch se consomme désormais presque comme une grille de programme TV avec du lundi au vendredi, des émissions phares en access et en prime qui rassemble des millions de viewers.

La force de Webedia est d’avoir une parfaite maîtrise des codes d’expression sociale, avec des productions originales sur toutes les plateformes, pour nos médias mais aussi pour nos marques partenaires.

The Media Leader : Vous avez pivoté votre modèle d’éditeur à celui de producteur. Allez-vous poursuivre vos activités médias (AlloCiné, Pure Break, Pure People, Pure Medias…) ? Quelle est votre stratégie ?

M.B. : Plus que jamais, nous allons poursuivre cette activité qui représente 50% de nos revenus. D’ailleurs nos médias digitaux se portent bien avec une croissance de +15% en audience cette année. Nous continuons à rester offensifs sur cette activité, comme en attestent les récentes acquisitions des sites Le 10 sport et L’Automobile Magazine.

Nous avons également fait un travail important sur le SEO de nos sites, et sur le référencement via Discover. Tout cela nous permet de rester « top of mind » auprès des presque 30 millions de Français qui viennent chaque mois sur nos sites.

Nos médias s’expriment également sur les plateformes sociales. Ces médias sociaux viennent compléter les médias traditionnels. Et la force de Webedia est d’avoir une parfaite maîtrise des codes d’expression sociale, avec des productions originales sur toutes les plateformes, pour nos médias mais aussi pour nos marques partenaires, avec un ton tour à tour positif, engagé, drôle et instructif.

Sur Snapchat, par exemple, Webedia est l’un des principaux éditeurs média en France. Avec TikTok, une relation fructueuse unique s’est liée avec eux, basée sur l’innovation. Avec l’ensemble de nos médias sociaux, nous sommes le premier groupe social en France avec 1,2 milliard de vidéos vues par mois.

The Media Leader : En retail media et content commerce, avez-vous des projets autour de ces leviers ?

M.B. : Le développement de nos médias visent à couvrir l’ensemble du funnel marketing, de l’inspiration jusqu’à la conversion. Cela nous permet ainsi d’offrir des dispositifs qui vont du pur branding à des dispositifs beaucoup plus orientés à la performance.

Le content commerce s’est d’ailleurs beaucoup développé sur nos sites (Easyvoyage, JV tech, JV & mgg, AlloCiné, ou encore L’Automobile Magazine). Cela nous permet de générer des leads pour nos clients et de toucher des audiences avec des intentions d’achat.

The Media Leader : Quelle stratégie avec les chaînes FAST ? Pourquoi Webedia va sur ce marché ?

M.B. : Le marché des FAST TV est un marché en pleine expansion en France et dans le monde. C’est finalement un nouveau mode de consommation des contenus, c’est gratuit, et ça permet aussi de s’affranchir des box TV des opérateurs, ce qui représente des économies pour les Français.

De notre côté, nous avons les marques et les contenus en France et dans les principaux pays de Webedia.

Cela nous permet d’ajouter de nouveaux médias dans les écosystèmes des marques et ainsi, de toucher un nouveau public. Ce que nous allons notamment faire avec MGG, Popcorn ou encore AlloCiné.

The Media Leader : Comment voyez-vous l’année 2024 pour le marché des médias et de la publicité ?

M.B. : Le climat géopolitique incertain et l’inflation vont probablement ralentir la croissance du marché publicitaire. On assiste depuis cette année à une forte accélération de la consolidation des grands groupes médias qui freinera probablement l’arrivée de nouveaux entrants et va de fait réduire la fragmentation des investissements publicitaires.

Nous restons positifs et optimistes, le temps d’écran lié au divertissement continuant d’augmenter.

Les médias vont devoir se réinventer, faire face aux nouvelles réglementations notamment post cookie, des nouvelles technologies avec l’essor de l’IA, contribuer à développer des nouvelles méthodologies de ciblages et trouver des nouveaux relais de croissance comme le retail media, l’audio et la TV connectée.

Nous restons positifs et optimistes, le temps d’écran lié au divertissement continuant d’augmenter. Les grands événements sportifs comme les JO seront porteurs tant en termes de mise en lumière de la France que pour les marques dans un contexte fédérateur et positif. D’une manière générale, le sport reste un marqueur en fort développement tant en audience qu’en investissement publicitaire.

Restons donc optimistes tant que nous créons de la valeur !

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