Mohamed Mansouri (ARPP) : « Le marketing d’influence n’est pas une zone de non-droit »
L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) est au centre de l’actualité en plein débat sur l’influence responsable pour lequel elle a créé un Observatoire.
Mais l’organisme de régulation du secteur agit au quotidien en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine et se porte garant de l’intérêt des consommateurs tout en respectant la liberté de création.
Face à la nouvelle donne imposée par les réseaux sociaux, comment l’ARPP adapte-t-elle la conduite de ses missions et lutte contre les dérives ? Comment les sujets peut-elle agir autour de la transition écologique ? Avec de nouveaux formats comme la TV adressée, comment l’ARPP peut-elle concilier agilité et réactivité pour répondre aux besoins du secteur ? Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP est l’invité du lundi de 100%Media.
100%Media : Vous avez lancé une campagne d’information avec Instagram pour promouvoir des pratiques responsables en ligne afin de lutter contre les dérives des influenceurs. Quel bilan en faîtes vous ?
Mohamed Mansouri : Nous avons lancé avec Instagram, membre de l’ARPP, la campagne ‘C’est carré’ sur Konbini pour aider les créateurs de contenus, les agences et les marques à adopter des pratiques commerciales transparentes et responsables
Les deux vidéos IG/ARPP x Konbini x Cassandra Cano ont cumulé un total de près de 30 millions de vues sur Facebook, Instagram et TikTok !
L’impact massif de cette campagne illustre parfaitement le rôle que les plateformes en ligne peuvent jouer pour former et encourager créateurs de contenus, marques et agences à adopter des pratiques marketing responsables, et l’importance de renforcer la collaboration entre tous les acteurs du secteur, ce que nous avons prévu de poursuivre en 2023.
Les objectifs de cette campagne sont multiples. Il s’agit en premier lieu de répondre à toutes les questions sur les relations entre les créateurs et les marques et de sensibiliser l’ensemble les acteurs de cette industrie (créateurs, agences, marques…) aux bonnes pratiques à respecter dans le cadre de partenariats rémunérés et à l’utilisation des outils disponibles sur Instagram pour garantir la transparence des relations commerciales entre un créateur et une marque.
L’objectif est également d’aider les utilisateurs à identifier plus facilement les partenariats rémunérés sur Instagram grâce au tag dédié qui peut être appliqué aux publications du fil, aux Stories, aux Reels et aux Lives.
La collaboration entre Instagram et l’ARPP se prolongera en 2023 pour accompagner l’ensemble des acteurs du secteur dans la mise en place de pratiques commerciales responsables et transparentes sur Instagram et les autres plateformes de Meta.
100%Media : Vous vous êtes emparés de ce sujet dès 2019 avec L’Observatoire de l’influence responsable et en créant, en 2021, un certificat visant à former les créateurs de contenus à l’influence responsable. Ceux-ci ont-ils répondu présent et comment ce certificat peut-il améliorer les comportements ?
M.M : Depuis 2016 à vrai dire ! Lorsque la profession réunie à l’ARPP a décidé d’adopter une Recommandation déontologique prévoyant les règles de transparence et de loyauté. Très vite, dès 2019, la profession a souhaité mesurer le niveau de respect des règles via l’Observatoire de l’influence responsable, et ainsi définir, au vu des résultats, quel serait le plan d’action le plus approprié. C’est dans ce cadre, que le lancement du Certificat a été décidé. Son premier objectif est de valider la connaissance du cadre légal et déontologique par les créateurs de contenus.
Tout le monde a à gagner à faire de l’influence responsable et éthique : pour les créateurs, car c’est devenu pour un nombre grandissant de marques un critère de sélection des créateurs avec lesquels elles vont travailler et parce que les communautés sont de plus en plus attentives au respect des bonnes pratiques ; pour les marques car il y a une attente très forte des consommateurs et des enjeux réputationnels qui ne le sont pas moins. Et c’est une tendance qui se renforce d’année en année et qui ne disparaîtra pas.
Nous analysons près de 30 000 contenus d’influenceurs par an
100%Media : Comment surveillez-vous les pratiques des influenceurs et quelles sanctions pouvez-vous leur infliger ?
M.M : L’Observatoire de l’Influence Responsable s’appuie sur des technologies avancées, grâce à des algorithmes co-élaborés avec nos partenaires Reech et TraackR. Nous analysons par cycle annuel 30 000 contenus publiés en année N-1 et, de manière continuelle en quasi-temps réel, près de 13 000 contenus publiés par une liste d’influenceurs que nous suivons, dont les créateurs de contenus certifiés ont été analysés en 2022.
En cas de constatation de manquements, nous disposons d’un large panel de moyens d’action, pouvant aller de la simple alerte pédagogique à destination des personnes concernées (influenceurs, marques et intermédiaires) au retrait du Certificat pour les créateurs certifiés, en passant par la saisine du Jury de déontologie publicitaire ou le signalement auprès des plateformes membres de l’ARPP avec lesquelles nous avons mis en place des canaux d’interactions privilégiées.
100%Media : La création d’une fédération de l’influence (UMICC) va-t-elle dans le bon sens ?
M.M : La structuration des métiers de l’influence, y compris – et surtout ! – des créateurs de contenus, est indispensable pour ce marché encore jeune mais à forte croissance, si l’on en croit les chiffres mondiaux. Cette structuration passe évidemment par la confiance et l’éthique, deux fondamentaux sans lesquels le secteur, comme tout autre, serait voué à l’échec. No trust, no business comme le disent nos amis anglo-saxons !
Avec l’UMICC, nous avons conclu une convention de partenariat qui assujettit la délivrance d’un label Créateurs à l’obtention du Certificat de l’ARPP et l’adhésion à une charte éthique. Ceinture et bretelles pour une création responsable de contenus !
Nous travaillons également avec le SCRP, qui a adopté dès 2020 la Charte de la relation influenceurs signée par 52 agences et que nous soutenons, et l’AACC sur la pédagogie du cadre légal et éthique auprès de toutes les agences.
Autant de signaux forts adressés à toutes les parties prenantes, les marques, les agences, les plateformes, les pouvoirs publics et les consommateurs. Loin des bad buzz, des fake followers et des pratiques trompeuses, le secteur progresse et se structure… L’économie des créateurs semble atteindre un âge de raison.
Lorsque le cadre légal est connu, il est respecté dans l’immense majorité des cas.
Mohamed Mansouri
100%Media : Les députés ont validé une proposition de loi sur la régulation du monde de l’influence. Ce projet va-t-il assez loin et l’ARPP a-t-elle été consultée ?
M.M : Le marketing d’influence, ce n’est pas une zone de non-droit. Il y a en France des lois qui s’appliquent, notamment celles contre les pratiques commerciales trompeuses et des règles déontologiques adoptées par la profession.
Par exemple, les créateurs de contenus doivent afficher sur les réseaux sociaux leurs partenariats avec les marques de manière explicite et instantanée. Ne pas le faire, c’est s’exposer à des sanctions très lourdes qui vont jusqu’à deux ans de prison et 300 000 euros.
Aussi, les dérives pointées du doigt chez certains ex-candidats de la téléréalité sont facilement qualifiables sur le plan pénal.
Hormis ces quelques agissements qu’il faut évidemment condamner fermement, nous constatons que lorsque le cadre légal est connu, il est respecté dans l’immense majorité des cas.
C’est le but de la Certification de l’influence responsable proposée par l’ARPP, qui a déjà certifié plus de 430 créateurs de contenus.
Nous avons mené une étude ad hoc sur l’impact du Certificat auprès des influenceurs certifiés.
Au 1er semestre 2021, avant obtention du Certificat le taux de manquement « transparence de la collaboration commerciale » était de 22%.
Au 1er semestre 2022 après obtention du Certificat ce taux de manquement est passé à 9%.
Et au 2nd semestre 2022, ce dernier est descendu à 1,05% ! Indiscutablement, il y a un réel impact positif du Certificat.
100%Media : L’ARPP est également partie prenante des programmes autour de la communication responsable. Face aux campagnes de sensibilisation contre le sexisme, l’homophobie ou le racisme., y-a-il une évolution des comportements ?
M.M : Que l’on parle d’origine, de religion, d’orientation sexuelle, d’âge, de handicap, de morphologie… il n’est pas toujours simple de sortir de sa zone de confort et des représentations « habituelles » sans tenir compte des évolutions sociétales actuelles et des attentes, qui sont fortes. Personne n’est à l’abri de faire perdurer des clichés…
Le rôle de l’ARPP est d’accompagner la profession sur les questions liées à l’inclusion, à la diversité des représentations dans la publicité, en conseillant ses membres et en valorisant de meilleures pratiques et engagements pris par les professionnels.
Cet accompagnement ne date pas d’aujourd’hui puisque depuis les années 1970, l’ARPP (autrefois BVP) développe et renforce son Code de déontologie, en particulier sur l’image et le respect de la personne.
Après le stade d’une prise de conscience généralisée – et mondiale, comme en témoigne la charte de la WFA – l’heure est aux engagements pris par les marques, via le programme FAIRe de l’Union des marques, par les agences et par les médias, en faveur d’une représentation plus juste de la société. C’est une thématique qui a pu être discutée lors du dernier Forum annuel de l’ARPP.
Ces engagements ne concernent pas uniquement la représentation publicitaire mais l’industrie elle-même, qu’il s’agisse de recrutement, de management, de leadership, de faire grandir les talents…
100%Media : La TV segmentée a pris son envol en 2022. Comment l’ARPP compte s’organiser pour proposer un service de validation suffisamment agile et rapide des campagnes en adéquation avec les spécificités de ce format ?
M.M : A l’heure de la convergence des écosystèmes numériques et broadcast, l’ARPP a lancé dès 2021, avec la profession, des travaux d’adaptation de ses services en ligne, en particulier du système d’identification unique des créations publicitaires : le PubID.
En s’enquérant des attentes de tous les acteurs intéressés, qu’ils soient DSP, SSP, agences, sociétés de production et des régies publicitaires, l’ARPP s’est fixé l’objectif de trouver le point d’équilibre entre la facilitation des process de validation, tout en préservant la sécurité des acteurs de la chaine de valeur.
Ainsi, dès 2023, des avancées majeures seront mises en production :
- La détection automatique des identifiants PubID, et donc des avis de l’ARPP, sur la base des contenus grâce à Signature, la solution de fingerprinting développée avec l’INA.
- La création multiple d’identifiants PubID pour la publicité TV segmentée, permettant par exemple de créer 100 identifiants PubID en seulement quelques clics.
- La propagation automatique des décisions de l’ARPP sur toutes les variations mineures d’une campagne segmentée, évidemment de manière sécurisée, sans visionnage du film, ce qui permettra un gain de temps considérable.
Nous travaillons également sur les spécifications d’une API d’écriture qui permettra aux acteurs du digital autorisés, de créer des identifiants PubID depuis leurs propres environnements en cas de besoin.
100%Media : Comment l’ARPP peut-elle prendre part autour du sujet relation à la transition écologique ?
M.M : La profession adhérente à l’ARPP s’est engagée depuis de longues années déjà, sur le Développement durable, les allégations environnementales, la transition écologique.
La première Recommandation déontologique de l’ARPP sur ce sujet date en effet de 1990.
Plus récemment, des engagements forts ont été pris en amont de l’adoption de la loi « Climat et résilience » d’août 2021. A titre d’exemple, les annonceurs et les agences se sont engagés à consulter préalablement l’ARPP avant diffusion de leurs principales campagnes nationales comportant des allégations environnementales, via le Conseil « Développement durable ». En effet, aucune campagne n’est à l’abri du Greenwashing.
La transition écologique concerne tous les acteurs de la chaîne de valeur, y compris les créateurs de contenus. A ce titre, nous avons enrichi le parcours du Certificat d’un module intitulé « Influence & dérèglement climatique », pour renforcer la sensibilisation aux enjeux climatiques. Ce module s’attache à vulgariser les conclusions du dernier rapport du GIEC afin de le rendre accessible au plus grand nombre, dans le but de :
Bannir toute représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles.
Prendre en compte les enjeux globaux sur le climat et construire des contenus sans inciter ou banaliser des modes de consommation excessifs ou contraires aux principes de l’économie circulaire.
100%Media : Comment voyez-vous évoluer le rôle de l’ARPP dans un monde des médias de plus en plus fragmenté ?
M.M : Les défis sont en effet de taille, mais n’en demeurent pas moins passionnants. L’immense diversité des acteurs qui composent une chaine de valeur complexe, que sont les marques, les médias, les agences, les ad tech, les plateformes, les créateurs de contenus, leurs agents… est aujourd’hui réunie à l’ARPP. Notre rôle est de leur offrir un lieu d’échanges neutre où sont adoptées les bonnes pratiques et règles éthiques. Un lieu de concertation avec les pouvoirs publics et la société civile. Un lieu unique pour relever ensemble les défis de notre siècle, ceux d’une industrie en perpétuelle évolution, ceux d’un monde devenu incertain, ceux d’un public toujours plus exigeant, ceux d’une communication toujours plus responsable.
Aussi, le rôle de l’ARPP évolue avec les technologies qu’elle met au service d’une régulation professionnelle toujours plus efficace et « augmentée », permise notamment par l’intelligence artificielle. Invenio, notre dispositif de Machine Learning lancé en 2020 et aujourd’hui étendu au Social display et au marketing d’influence détecte en effet automatiquement des suspicions de manquements avec des taux de précision de plus en plus performants.
Enfin, à l’heure du tout numérique, le rôle de l’ARPP se joue plus que jamais à l’échelle européenne. En effet, l’ARPP contribue activement au sein de l’EASA avec ses homologues européens et l’ICAS hors Europe, afin de proposer des solutions d’autorégulation qui se doivent d’être crédibles face aux enjeux posés par les acteurs numériques globaux et dépassant largement nos frontières.
Propos recueillis par François Quairel
À lire aussi
Florence Destang et Marc Freschi (Arena Media) : « Nous devons briser les codes et faire preuve d’audace »
Interview du lundi. La fin des cookies tiers, la montée de l'audio digital et la multiplication des prises de paroles en 2024, interrogent les agences médias. Comment se démarquer en sein d'un groupe d'agences médias ? Comment faire émerger son discours et réussir à innover en 2024 ? Florence Destang et Marc Freschi, dirigeants d'Arena Media sont les invités de The Media Leader. L'agence d'Havas Media Network dévoile son nouveau logo.
Antoine Monin (Spotify) : « Il est crucial de consolider notre indépendance financière »
Face à l'IA, la question de la rémunération des artistes, la montée des podcasts et des contenus natifs, l'audio digital fait face à une révolution de son temps. Spotify est sur le devant de la scène. Quel est son positionnement sur le marché de l'audio ? Quel est son modèle économique ? Antoine Monin, DG de Spotify France et Benelux, a répondu aux questions de François Quairel, directeur de la rédaction de The Media Leader, lors d'Innov'Audio Paris.
À lire plus tard
Vous devez être inscrit pour ajouter cet article à votre liste de lecture
S'inscrire Déjà inscrit ? Connectez-vous