Procès Google vs USA : L’œil de Maître Masmi-Dazi – Episode 4
TheMediaLeader.tech vous propose de suivre le procès de Google pour abus de position dominante aux Etats-Unis. Maître Fayrouze Masmi-Dazi, fondatrice du cabinet d’avocat Dazi, avocate à la cour à Paris et spécialiste des sujets numériques et technologiques, nous propose son analyse chaque mercredi en exclusivité.
Clap de fin pour les plaidoiries du procès américain du stack publicitaire de Google, et après ?
En cette dernière semaine de plaidoirie, il se dégage un sentiment général que les faits présentés par le département américain de la justice sont accablants pour Google, renforcés par des témoignages d’éditeurs remontés et de concurrents entravés. La défense de Google est apparue d’abord brouillonne puis plus structurée mais entretenant la confusion, faisant abstraction totale des concurrents, tout en insistant sur leur multitude et a été marquée par une remise en cause de la crédibilité de « serial experts économiques » venus témoigner à la barre. Mais ce n’est pas là tout ce qu’il faut retenir de ces plaidoiries.
Deux visions de l’écosystème publicitaire en ligne s’opposent : un marché unique de l’intermédiation biface (incluant buy et sell side) vs une multiplicité de marchés
Au cours de ce procès, Google a fait valoir en quelque sorte que le marché de la publicité en ligne est très concurrentiel et qu’il n’intervient qu’en opérateur verticalement intégré d’un service d’intermédiation entre acheteurs et vendeurs, qui ne forment qu’un seul et même marché biface dans lequel les inconvénients subis par une face (les éditeurs) sont éventuellement compensés par les bénéfices retirés par l’autre face (les annonceurs). En se plaçant ainsi, Google met en avant son absence de responsabilité dans les transactions, le processus d’enchères ou encore la fixation des prix, pour privilégier une posture de facilitateur technologique de transactions. Dans ce contexte, le marché de la publicité en ligne serait très concurrentiel car Amazon, Meta ou d’autres encore exercent ce même rôle, ce qui diluerait in fine sa part de marché et donc le possible constat d’une éventuelle position dominante.
Google a fait témoigner le Dr Paul Milgrom, économiste de son état qui a plutôt brillamment présenté l’historique de la construction du stack publicitaire de Google. Il a proposé une vision alternative des pratiques de Google en mettant l’accent sur le fait que ce n’est pas Google qui détermine le processus d’enchères, ni le fait de bidder ou non pour une impression, ni ne fixe le prix, ce sont les annonceurs et les agences médias. Mr Milgrom a ainsi insisté sur le fait que les facteurs déterminant le gagnant de l’enchère ne sont pas si favorables à Google que le département de la justice américain ne le prétend, mettant en avant en quelque sorte la neutralité technologique de son client. De sources concordantes présentes lors de son audition, Mr Milgrom a fait grand effet. Si les deux premières semaines du procès ont été marquées par des démonstrations fracassantes du département américain de la justice, les dernières impressions comptent également à l’audience. Il a probablement contribué à nuancer le cas Google. Lors de son audition croisée, Mr Pilgrom a néanmoins concédé les avantages du droit de premier et de dernier regard octroyé à AdX.
On aura par ailleurs de nouveau entendu parler de l’économiste Mark Israël, associé du cabinet Compass Lexecon qui a longuement défendu le modèle de son client, après avoir été l’un des témoins clef de Google dans le procès américain du Search l’année dernière (pour lequel Google a été reconnu coupable de monopolisation cet été et qui donne désormais lieu à un procès sur les remèdes). Ce qui aura surtout marqué c’est l’audition croisée de Mr Israël par le département de la justice qui s’est évertué à le discréditer totalement. Mr Israël a en effet dû admettre que 80% de ses revenus annuels étaient liés à son activité de témoignage pour des entreprises dans le cadre de procès, seuls 20% correspondraient à une activité de fond et qu’il n’occupe et n’a jamais occupé aucune fonction d’enseignement dans une université. « Eviscéré » c’est le terme employé par l’un des commentateurs du procès américain pour décrire la manière dont le département américain de la justice a terrassé les thèses défendues par ce que d’aucuns ont appelé « la Google Witness Factory ».
De l’autre côté du spectre se trouve le département américain de la justice, qui analyse la quasi-omniprésence de Google sur une multitude de marchés sur lesquels les fournisseurs et les clients ne sont pas les mêmes. Dans une telle perspective, la position de Google peut s’analyser marché par marché, avec celle d’éventuels rivaux, et les restrictions apportées à la capacité des éditeurs à monétiser leur inventaire sans avoir recours à tous les produits liés de Google ainsi que celles apportées aux concurrents sont problématiques.
Lorsque Google a terminé sa plaidoirie en défense, cela a été au tour du département américain de la Justice de formuler des remarques finales et ce dernier a choisi de reconvoquer un de ses témoins, Matthew Wheatland CDO du Daily Mail. Au cours de cette audition, il a été demandé à Wheatland de confirmer qu’il n’existait en pratique aucune alternative à Google. Wheatland a fait l’objet d’une audition croisée virile dans laquelle il a été reproché au Daily Mail de ne pas toujours avoir respecté les règles de Google sur la modération de contenus. L’audition a été émaillée de questions à réponses fermées (oui ou non), et la défense s’est employée à rappeler que le choix des enchères, de leur processus et des prix appartenait aux éditeurs, annonceurs et agences.
Outre des contradictions pointées par le DOJ dans la position de Google, ce qui paraît troublant dans la position de ce dernier est que cela reviendrait à considérer que c’est la position d’un acteur qui détermine le marché pertinent pour analyser le caractère anticoncurrentiel de ses pratiques commerciales. Avant le rachat de DoubleClick, il eut fallu analyser le marché comme une multitude de marchés, tandis qu’après l’intégration, il eut fallu changer d’analyse de marché pertinent. Si on peut tenir compte de l’intégration verticale d’un acteur dans l’analyse de sa puissance de marché et de ses pratiques, cela n’est généralement pas pour définir le marché pertinent sur lequel il est actif. Mais cela pose une question intéressante sur le caractère prospectif d’une analyse de marché dans le cadre d’une opération de concentration.
Deux approches des pratiques reprochées (et des possibles remèdes à y apporter) : intégration verticale proconcurrentielle vs ventes liées et refus d’accès
Sur le fond, le problème le plus épineux que le juge américain va devoir trancher est de savoir s’il est face à un problème de vente liée entre DFP et AdX et d’accès des concurrents de Google à la demande de Google, ou à un opérateur verticalement intégré ayant des pratiques commerciales dont le bénéfice à la concurrence s’apprécie globalement en tenant compte des deux faces de ce qui serait un même marché, en même temps. En Europe, et en particulier en France, la question ne s’est pas posée dans ces termes. Ce que l’Autorité française de la concurrence a sanctionné en 2021 et qui donne actuellement lieu au plus grand procès de demande de réparation contre Google à Paris, ce sont des pratiques d’autopréférence entre DFP et AdX, d’interopérabilité restreinte avec les serveurs et exchanges concurrents, et de commissions excessives, une vision plus proche de celle défendue par le DOJ. Rien ne permet donc à ce stade de prédire l’issue de ce nouveau procès américain contre le stack publicitaire de Google. L’issue de ce procès est importante bien au-delà des frontières américaines, même si les autorités ne se prononcent pas forcément selon les mêmes prismes.
C’est ainsi que les plaidoiries du procès du stack publicitaire de Google se sont terminées, avec trois semaines d’avance par rapport au calendrier initial. Les parties doivent remettre leurs dernières observations sur les faits le 4 novembre et leurs arguments conclusifs le 25 novembre prochain. Un jugement sur la culpabilité de Google pourrait être rendu d’ici janvier 2025. Et si comme dans le Search, elle venait à cette conclusion, s’ouvrirait alors le procès des remèdes à apporter. Dans le procès du Search, nous connaîtrons le 8 octobre prochain le cadre des remèdes qu’envisage le département américain de la justice. Le « démantèlement » a été présent dans tous les débats au cours des trois dernières semaines de plaidoiries dans l’Ad Tech, toute la question réside dans le fait de savoir si et comment y procéder.
A cet égard, la position de Google sur le fond est intéressante car elle montre au moins que de son point de vue, ce qui fait la valeur est l’ensemble, et non des briques prises indépendamment les unes des autres. Il s’agit peut-être d’une manière d’indiquer publiquement en creux qu’un remède visant à ne céder qu’une partie du stack publicitaire ne serait ni pertinente eu égard aux dynamiques de marché telles que Google les décrit. Cela ressortait déjà d’un mail interne de 2017.
Si une cession complète ne suffisait à résoudre les préoccupations de concurrence, d’aucuns évoquent des remèdes quasi structurels d’interopérabilité renforcée ou encore d’accès aux points de contrôle – ces nœuds techniques à identifier – qui permettraient de fluidifier l’accès à la demande par exemple et de les mettre en concurrence dans des conditions plus vertueuses pour les utilisateurs de la plateforme, plutôt que pour la plateforme elle-même. Mais l’expérience européenne montre que l’efficacité de tels remèdes dépend beaucoup de la volonté de l’opérateur concerné et est très difficile à mesurer compte tenu de l’asymétrie d’information. D’autres encore évoquent de ne plus permettre à l’intermédiaire technique d’être financièrement intéressé à la valeur des transactions qui transitent par sa plateforme, pour neutraliser les incitations négatives que cela peut générer vis-à-vis de tous les utilisateurs.
Enfin, il reste encore un autre procès de l’Ad Tech de Google au Texas dont les plaidoiries sont prévues en 2025.
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