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Roch-Olivier Maistre (Arcom) : « L’avenir des médias se joue entre régulation et liberté »

Roch-Olivier Maistre (Arcom) : « L’avenir des médias se joue entre régulation et liberté »
Le renouvellement des fréquences TNT a également été un dossier majeur pour l’Arcom. Cette plateforme, qui constitue le dernier espace audiovisuel gratuit et accessible à tous, reste un enjeu crucial en termes de pluralisme.

Après six années à la présidence de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre s’apprête à tirer sa révérence et passer le flambeau à Martin Adjari. À l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes média, il a dressé le bilan de son mandat, partagé ses réflexions sur les défis qui attendent les médias et livré sa vision de la régulation à l’ère du numérique. Un échange dense, marqué par une interrogation centrale : comment garantir un équilibre entre la liberté d’expression et la régulation, alors que les usages et les acteurs de l’information se transforment à une vitesse vertigineuse ?

Un paysage médiatique en perpétuelle transformation

Si le secteur des médias a toujours été en mutation, ces dernières années ont vu les lignes bouger à une vitesse inédite. Roch-Olivier Maistre, témoin privilégié de cette évolution, en mesure toute l’ampleur. « Ce qui m’a frappé, c’est l’accélération des transformations. Les acteurs du secteur doivent aujourd’hui composer avec des réalités nouvelles : la fragmentation de l’information, la montée de la fatigue informationnelle (Baromètre La Croix, ndlr) et l’influence grandissante des grandes plateformes numériques », observe-t-il.

Dans ce nouvel écosystème, où les frontières entre médias traditionnels et numériques s’effacent progressivement, la mission de l’Arcom a pris une dimension stratégique. « Notre rôle, plus que jamais, est de faire comprendre nos décisions, de les rendre lisibles et de rappeler que notre action s’inscrit dans l’intérêt général », souligne-t-il. Face à un public submergé par une avalanche de contenus, il s’agit de garantir l’accès à une information fiable et pluraliste, tout en préservant le droit fondamental à la liberté d’expression.

Il ne faut pas faiblir !

Liberté d’expression et responsabilité : l’équilibre fragile

L’information est un bien commun, essentiel au fonctionnement démocratique. Mais si la liberté d’expression est une pierre angulaire de notre société, elle ne saurait être absolue. « Il faut mesurer la chance que nous avons d’évoluer dans un espace où cette liberté est consacrée par la loi. Mais elle s’exerce dans un cadre défini, avec des limites précises », rappelle Roch-Olivier Maistre.

L’Arcom s’est ainsi retrouvée au cœur de nombreuses controverses, qu’il s’agisse de la diffusion de propos climato-sceptiques sur certaines chaînes d’information ou de discours polémiques flirtant avec les lignes rouges du droit. « Nous ne sommes pas là pour censurer, mais pour veiller au respect des obligations des médias en matière d’honnêteté, de rigueur et de diversité des points de vue », insiste-t-il. Une tâche délicate, où chaque décision peut être perçue comme une ingérence ou une complaisance, selon le prisme de l’observateur.

Nous faisons simplement appliquer la loi

Le régulateur face aux polémiques : le cas de C8

L’un des dossiers les plus sensibles du mandat de Roch-Olivier Maistre a sans doute été la gestion des polémiques autour de C8 et de l’émission de Cyril Hanouna. L’Arcom a d’ailleurs été amenée à intervenir à plusieurs reprises, notamment pour des débordements éditoriaux qui ont conduit à des mises en demeure et des sanctions financières.

Face aux critiques sur l’inaction supposée du régulateur, Roch-Olivier Maistre est clair : « L’interlocuteur de l’Arcom, c’est toujours l’éditeur, jamais une personne en particulier. Nous n’examinons pas les animateurs ou les chroniqueurs, mais bien le respect des obligations éditoriales fixées par la loi et les conventions signées. »

Il rappelle que la régulation audiovisuelle repose sur un équilibre fragile : les chaînes privées disposent d’une liberté éditoriale très large, consacrée par la loi de 1986 sur la liberté de communication (dont il a participé à l’élaboration, de 1986 à 1988, il est conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture, François Léotard, ndlr), mais doivent respecter des règles précises en matière de déontologie, de pluralisme et de respect du public. « L’autorité ne fait pas les programmes, heureusement ! Elle veille simplement à ce que les engagements pris soient respectés. »

Alors que Cyril Hanouna s’est plusieurs fois insurgé contre l’Arcom sur son antenne, insinuant que l’institution lui en voulait personnellement, Roch-Olivier Maistre préfère rester factuel : « Chacun est libre de ses commentaires. Nous, nous faisons simplement appliquer la loi. »

La TNT, un modèle à préserver ?

Interrogé sur le renouvellement de la fréquence de C8 et de NRJ12, il défend le processus mis en place : « Nous avons analysé les engagements des éditeurs, en nous assurant que leurs obligations légales et conventionnelles étaient bien respectées. »

« Nous avons reçu 24 candidatures pour 15 fréquences », rappelle Roch-Olivier Maistre, soulignant l’intensité de la compétition. L’attribution des canaux s’est donc faite selon plusieurs critères : diversité éditoriale, solidité financière des candidats, engagement sur la production de contenus.

La question de l’avenir de la TNT face à la montée des plateformes de streaming se pose également. « Le modèle est en mutation, mais la TNT reste une infrastructure essentielle. Son accessibilité universelle en fait un outil clé pour garantir un accès égalitaire à l’information et à la culture », insiste-t-il.

Cependant, des évolutions sont à prévoir. « La télévision linéaire est en train de se transformer, et il faudra sans doute adapter la régulation pour accompagner ces changements », concède-t-il, évoquant des discussions sur l’optimisation du spectre hertzien et l’intégration de nouveaux services. « Les choses avancent, mais la pression doit être maintenue. Il y a une attente forte de la part de l’opinion publique », affirme-t-il, convaincu que la régulation ne peut plus se limiter aux seuls médias traditionnels.

Le service public a besoin d’une stratégie commune et d’un pilotage cohérent

La concentration des médias en question

Le paysage médiatique français n’échappe pas au mouvement de concentration. De l’attribution d’une fréquence à CMI, groupe de Daniel Kretinsky, à la tentative avortée de fusion entre TF1 et M6, la question de la pluralité de l’information se pose avec acuité.

« Le pluralisme est un enjeu fondamental, et la régulation doit veiller à garantir aux Français un accès diversifié à l’information », souligne Roch-Olivier Maistre. Pour autant, la consolidation du marché répond également à une logique économique incontournable : à l’heure où les plateformes numériques captent l’essentiel des revenus publicitaires, les groupes audiovisuels traditionnels doivent se renforcer pour survivre. « Il y a un équilibre à trouver entre la consolidation nécessaire et la préservation d’une diversité éditoriale », analyse-t-il, soulignant l’importance d’un cadre réglementaire capable d’accompagner ces mutations sans les brider.

L’avenir du service public audiovisuel : une stratégie à réinventer

L’avenir de l’audiovisuel public a été un autre sujet clé de cette rencontre. Faut-il fusionner France Télévisions, Radio France et France Médias Monde ? Roch-Olivier Maistre plaide plutôt pour une gouvernance unifiée. « Il ne s’agit pas de tout regrouper sous une même entité, mais d’avoir une stratégie commune et un pilotage cohérent », précise-t-il, sans parler de fusion.

La question de l’indépendance du service public face aux pressions politiques est également soulevée. « Un service public fort doit s’appuyer sur un mode de nomination indépendant et des financements pérennes. C’est une condition essentielle pour préserver sa mission », martèle-t-il.

L’intelligence artificielle, un défi pour les créateurs de contenus

Dans un monde où les intelligences artificielles produisent désormais textes, vidéos et images, les médias traditionnels doivent réinventer leur modèle. « Nous devons défendre l’exception culturelle française face aux mutations technologiques. Il ne faut pas céder sur nos valeurs et notre modèle », alerte Roch-Olivier Maistre.

La question des droits d’auteur se pose avec une acuité nouvelle : comment garantir une rémunération équitable aux créateurs face aux outils d’IA générative qui se nourrissent de leurs œuvres ? « Il faut adapter notre cadre juridique pour que la technologie ne devienne pas un prétexte à la spoliation des ayants droit », plaide-t-il.

Les États-Unis ne s’embarrassent pas de l’extra-territorialité de leurs droits

Un regard rétrospectif sur la privatisation de TF1

Évoquant l’un des tournants majeurs du paysage audiovisuel français, Roch-Olivier Maistre revient sur la privatisation de TF1 en 1987. « C’était une nécessité pour moderniser le secteur. Aucun autre pays démocratique n’était encore dans une situation où l’ensemble des chaînes étaient publiques », rappelle-t-il.

Si ce choix a structuré le marché tel qu’on le connaît aujourd’hui, il n’en reste pas moins un sujet de débat. « Avec le recul, on peut discuter des conséquences, mais cela a permis de créer un marché plus dynamique et concurrentiel », estime-t-il.

Face aux géants du numérique, une régulation en construction

YouTube, Facebook, TikTok, X (anciennement Twitter)… En quelques années, les plateformes numériques ont redéfini les règles du jeu médiatique, captant l’attention des publics et redistribuant les cartes de la production et de la diffusion de l’information. « Avec le Digital Services Act, l’Europe a enfin doté les régulateurs d’un cadre pour agir face à ces nouveaux acteurs », se félicite Roch-Olivier Maistre, et d’ajouter : « Il ne faut pas faiblir ! L’Europe doit appliquer son texte avec détermination. Les États-Unis ne s’embarrassent pas de l’extra-territorialité de leurs droits ».

Mais la bataille est loin d’être gagnée. L’un des défis majeurs réside dans le contrôle des algorithmes, qui façonnent de manière opaque les contenus mis en avant. « Nous devons nous assurer que les plateformes ne privilégient pas certains types d’informations au détriment d’autres, sans que cela soit clairement expliqué aux utilisateurs », insiste-t-il.

Autre enjeu crucial : l’accès des mineurs aux contenus pour adultes. L’Arcom a engagé une véritable lutte sur ce front, multipliant les mises en demeure et les actions en justice. « Il a été très difficile de faire avancer les choses, l’industrie du porno est très organisée et a ferraillé à tous les étages avec de longues procédures », poursuit-il.

Alors qu’il s’apprête à passer le relais, Roch-Olivier Maistre se dit confiant quant à l’avenir de l’Arcom et de la régulation des médias. « La régulation moderne doit être protectrice de la liberté, mais aussi attentive aux attentes du public », résume-t-il.

Face aux mutations du secteur, une certitude demeure : « L’avenir des médias se joue entre régulation et liberté. C’est cet équilibre que nous devons préserver. »

Roch-Olivier Maistre reprend dès lundi ses fonctions au sein de la Cour des comptes.

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