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Les annonceurs et médias français en désaccord avec Apple et « Distraction Control »

Les annonceurs et médias français en désaccord avec Apple et « Distraction Control »

Nicolas Rieul – Président d’Alliance Digitale ; Pierre Louette – Président de l’APIG ; Bertrand Gié – Président de Geste ; Corinne Mrejen – Présidente du SRI ; Magali Florens – Directrice Générale de l’UDECAM et Jean-Luc Chetrit – Directeur Général de l’Union des marques ont pris position contre Apple en adressant une lettre ouverte à la firme californienne, exigeant la suspension d’un outil permettant de masquer les publicités sur son moteur de recherche.

Cette initiative, annoncée dans un communiqué, reflète les inquiétudes croissantes des acteurs du secteur face à l’impact potentiel de cette fonctionnalité sur leurs revenus publicitaires.

Un outil jugé dangereux pour l’économie des médias

Baptisé « Distraction Control » (ou « anti-distraction » en français), l’outil controversé permet aux utilisateurs du navigateur Safari de masquer manuellement des fenêtres pop-up ou des bannières publicitaires. Depuis son lancement en septembre avec la dernière mise à jour du système d’exploitation d’Apple, cet outil a suscité l’inquiétude des professionnels des médias et du marketing numérique.

« C’est une partie du modèle économique de l’ensemble de la presse mais aussi des pure players, et des fournisseurs de contenus sur Internet de manière plus générale, qui se trouve menacée », explique Pierre Devoize, directeur général adjoint d’Alliance Digitale à l’initiative de la lettre.

Un risque pour la conformité avec les règles européennes

Au-delà de l’enjeu économique, ces professionnels soulignent un danger supplémentaire : l’outil d’Apple pourrait compromettre la conformité avec les réglementations européennes sur la protection des données. En effet, « Distraction Control » permettrait aux utilisateurs de masquer les fameuses fenêtres de consentement aux cookies, éléments essentiels pour respecter les exigences du RGPD.

Pierre Devoize précise que la « crainte massive » est que ce masquage, aujourd’hui volontaire, devienne un jour automatisé, ce qui compliquerait encore davantage la situation. « On ne sait pas comment ça va évoluer », ajoute-t-il, mettant en lumière l’incertitude qui plane sur les futures implications de cet outil.

Une réponse d’Apple toujours attendue

Apple n’a pour l’instant fait aucun commentaire sur cette lettre ouverte. Lors du lancement de « Distraction Control », la firme avait cependant affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un bloqueur de publicités à proprement parler, les annonces n’étant pas supprimées de manière permanente par cette fonctionnalité.

Il s’agit de la deuxième lettre envoyée par Alliance Digitale et ses partenaires à destination d’Apple. La première, adressée en mai, est restée sans réponse. Devant cette absence de communication, les signataires de la lettre se réservent le droit « d’envisager des actions juridiques » si la situation n’évolue pas.

Un conflit entre innovation technologique et modèle économique

Cette affaire illustre une tension croissante entre les entreprises technologiques, qui cherchent à améliorer l’expérience utilisateur avec des outils comme « Distraction Control », et les médias, dont le modèle économique repose en grande partie sur la publicité. Pour les médias français, ce nouvel outil représente une menace à la fois pour leurs revenus et pour la viabilité de leur modèle économique à l’ère numérique.

L’avenir de cette confrontation dépendra probablement de la réaction d’Apple, mais aussi de la capacité des acteurs du secteur à défendre leurs intérêts face à des innovations technologiques qui redéfinissent sans cesse les règles du jeu.


Lettre ouverte : Les professionnels français de l’édition, du marketing et des médias demandent la suspension du déploiement de la fonctionnalité « Distraction Control » d’Apple sur iOS18 et la fourniture de la documentation technique complète.

De : Nicolas Rieul – Président d’Alliance Digitale ; Pierre Louette – Président de l’APIG ; Bertrand Gié – Président de Geste ; Corinne Mrejen – Présidente du SRI ; Magali Florens – Directrice Générale de l’UDECAM et Jean-Luc Chetrit – Directeur Général de l’Union des marques

Cher M. Cook,

En mai dernier, nous vous avons fait part de nos préoccupations concernant des rapports faisant état d’une possible fonctionnalité « Web Eraser » dans Safari. Bien que notre lettre soit restée sans réponse, l’absence de commentaires ou clarifications publics de la part d’Apple nous avait donné à penser que l’entreprise avait abandonné ce projet.

Cependant, début août 2024, nous avons découvert une nouvelle fonctionnalité en phase de test bêta sur Safari, appelée « Distraction Control », qui semble capable de masquer tout élément d’une page web.

Ce développement a ravivé les inquiétudes qui avaient motivé notre première lettre, envoyée au nom des 800 entreprises que nous représentons dans les secteurs des annonceurs, agences médias, éditeurs, médias, AdTech et marketing mobile.

Les tests menés sur les versions bêta et publique d’iOS 18 ont accentué les préoccupations au sein de nos différentes industries. Ces tests ont confirmé que cette fonctionnalité permet au minimum de :

  • Masquer tout contenu (texte, audio, vidéo) sur toutes les pages web, y compris le contenu éditorial des médias en ligne, des œuvres protégées par le droit d’auteur et des bases de données protégées, facilitant ainsi de manière considérable la manipulation de l’information en ligne et la fidélité des transactions sans information adéquate pour le consommateur, en conformité avec les lois applicables dans l’Union européenne ;
  • Cacher les plateformes de gestion du consentement (CMP) et les Consent Walls des sites web, compromettant la conformité avec la réglementation européenne sur la protection des données et affaiblissant les modèles économiques des éditeurs ;
  • Masquer toutes les formes de publicité en ligne (vidéo, native, display), parfois sans action explicite de l’utilisateur (c’est-à-dire automatiquement sur un même site après des choix similaires précédents), compromettant la mesure fiable et réelle des performances et menaçant gravement le modèle publicitaire en ligne, qui soutient une part importante de l’économie d’Internet.

Nos découvertes surviennent à un moment où Apple n’a fourni que très peu d’informations au marché sur cette fonctionnalité, sans discussion ni préavis. Cela est d’autant plus inquiétant que d’autres rumeurs suggèrent que les fonctionnalités de « Distraction Control » pourraient bientôt être activées directement dans les paramètres du navigateur Safari.

Face à ce manque significatif d’informations et de transparence, au fait que Safari a été désigné comme un service de plateforme essentielle (CPS) dans le cadre du Digital Markets Act (DMA), et aux conséquences profondes que ces développements pourraient entraîner, les associations et membres que nous représentons envisagent activement tous les recours juridiques possibles. Ceux-ci incluent, sans s’y limiter, des actions en matière de protection des données, de liberté de la presse, de droits de propriété intellectuelle, de droits d’auteur, de marques et de réglementation de la concurrence.

Compte tenu de ces préoccupations, nous demandons instamment à Apple de suspendre le déploiement de cette fonctionnalité dans l’attente d’un examen approfondi. En outre, nous demandons l’accès à la documentation technique complète détaillant les fonctionnalités de « Distraction Control », ainsi que toute mise à jour prévue, afin de nous assurer que cette fonctionnalité respecte les lois européennes et les droits de toutes les parties prenantes, y compris les consommateurs européens.

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