Publicité : relocaliser 1 milliard d’euros dans les médias français pourrait créer 12 000 emplois, selon les Relocalisateurs
Une étude a été menée par UNO Études & Conseil et AixEco pour Les Relocalisateurs, présentée par l’économiste Bruno Coquet lors d’un événement organisé par l’association, éclaire un enjeu fondamental pour le secteur publicitaire en France. Face à la montée en puissance des géants du numérique (GN), notamment Alphabet, Meta et Amazon, qui captent désormais plus de 40 % des revenus publicitaires mondiaux, la publicité traditionnelle française se trouve fragilisée, menaçant l’équilibre économique du secteur et l’emploi dans les médias.
Un secteur en déséquilibre
Les chiffres sont saisissants : alors que la publicité représentait 1 % du PIB français en 2000, sa part a chuté à 0,61 % en 2024, contre 0,81 % en moyenne mondiale. Cette érosion est en grande partie due au transfert massif des investissements vers le digital, dominé par les GN. Toutefois, ce changement de paradigme n’a pas généré de croissance économique comparable dans les marchés nationaux, soulevant des questions quant aux bénéfices réels de cette transformation pour l’économie française.
La relocalisation, une réponse aux distorsions de marché
Les auteurs de l’étude, Bruno Coquet et Éric Heyer, exposent des scénarios contrastés : dans une hypothèse où les médias traditionnels récupèrent un milliard d’euros de recettes publicitaires au détriment des GN, le PIB pourrait croître de 760 millions d’euros, avec 12 400 emplois créés dans le secteur de la publicité. En revanche, sans intervention, le statu quo entraînerait des pertes économiques notables et la destruction de nombreux emplois d’ici 2030.
L’urgence d’une action concertée
Alexis Goujon, Directeur Général des Relocalisateurs, met en garde contre les effets socio-économiques néfastes d’une domination des GN, observés déjà aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le risque de voir disparaître des médias locaux, avec des conséquences telles que la perte d’emplois et un recul de l’engagement citoyen, appelle à une régulation rapide pour redonner aux médias français la possibilité de prospérer, comme l’expliquait récemment Bruno Ricard, président des Relocalisateurs dans une interview à The Media Leader.
Une dynamique essentielle pour préserver le pluralisme médiatique
Fondée en 2022, l’association Les Relocalisateurs, regroupant des acteurs majeurs comme Cospirit, Publicis Media, FranceTV Publicité, JCDecaux, Cityz Media, NRJ Global, 366, Radio France Publicité et Dentsu, milite pour un retour aux investissements publicitaires locaux, condition sine qua non pour préserver la diversité de l’information et la vitalité économique des territoires. Les solutions envisagées incluent des incitations fiscales et des initiatives de coopération entre annonceurs et médias locaux pour rééquilibrer un marché aujourd’hui trop centré sur les géants du net.
En relocalisant une partie des investissements, la France pourrait non seulement stimuler son PIB, mais aussi sauvegarder un secteur média essentiel à sa démocratie, selon l’association.
Bruno Coquet : « Une taxe économique pourrait être une solution efficace pour préserver les médias locaux »
The Media Leader : Que retenez-vous de l’étude que vous avez présenté lors de l’événement annuel des Relocalisateurs ?
Bruno Coquet : On peut en retenir que le secteur de la publicité a traversé une crise dans la première décennie des années 2000, puis s’est stabilisé en France. Cette période de stabilisation a permis l’émergence des géants du net – Google, Amazon, Meta – et maintenant des entreprises chinoises qui prennent des parts de marché aux acteurs historiques. Ces changements affectent les recettes publicitaires qui finançaient autrefois l’information et le divertissement produits par les médias traditionnels.
The Media Leader : Quel chiffre vous a le plus marqué dans cette étude ?
Bruno Coquet : Ce qui est frappant, c’est la division par deux du poids de la publicité dans le PIB depuis le début des années 2000, partout dans le monde. Si ce secteur reprend légèrement à l’échelle mondiale, en France, il est toujours en baisse, avec une perte de valeur estimée à 40 % par rapport au début des années 2000. Cette chute est complexe à expliquer : elle pourrait être due à une baisse des prix, des marges réduites, ou encore une moindre demande d’emplois. Le marché produit le même volume de publicités, mais celles-ci rapportent beaucoup moins.
La voie juridique est lente et inefficace face à la puissance de ces entreprises.
The Media Leader : D’ici 2030, trois quarts des investissements digitaux pourraient être captés par les GAFA et TikTok, selon une étude PMP Strategy publiée en début d’année. Quelle solution envisager ?
Bruno Coquet : La difficulté vient du modèle des géants du net, qui offrent une audience massive et attirent donc les annonceurs. Cependant, ils ne produisent pas de valeur ajoutée en France puisque leurs recettes sont facturées dans d’autres pays, comme l’Irlande. Cela réduit le PIB et fragilise l’emploi local, en particulier dans les médias. La relocalisation vise à inciter ces entreprises à produire de la valeur ici, sans optimisation fiscale qui exporte cette richesse ailleurs. Même avec moins d’emploi qu’un média traditionnel, leur contribution locale renforcerait l’économie française.
The Media Leader : Doit-on différencier ces géants, qui sont principalement des plateformes, des médias traditionnels avec des journalistes et un cadre déontologique strict ?
Bruno Coquet : Effectivement, il y a une différence entre un contenu d’information ou de divertissement, qui apporte une valeur à la société et les contenus des plateformes. Cependant, il faut être prudent : les géants du net produisent aussi des « contenus », même si leur valeur sociétale est moindre. Il serait donc trop simple de discréditer un contenu au profit d’un autre. Toutefois, l’information reste un contenu essentiel, quel que soit le vecteur.
The Media Leader : Face aux procès et aux amendes visant les grandes plateformes, quelle serait selon vous la meilleure solution : accentuer les sanctions ou envisager d’autres formes de régulation ?
Bruno Coquet : La voie juridique est lente et inefficace face à la puissance de ces entreprises. Les géants comme Google, Amazon et Meta représentent 0,4 % du PIB mondial en revenus publicitaires, ils ont les moyens d’intenter de longues procédures. En revanche, une taxe économique pourrait être une solution efficace, car elle produirait un effet immédiat. Contrairement aux procès qui durent des années, une taxe bien calibrée pourrait orienter les comportements des annonceurs en montrant le coût réel de choisir un acteur au détriment des médias locaux.
The Media Leader : Pensez-vous que des taxes pourraient impacter le marché français sans désavantager les entreprises locales ?
Bruno Coquet : En tant qu’économiste, je pense qu’on peut débattre sur une mesure d’une taxe ciblée qui pourrait aider, sans viser directement une entreprise particulière, ce qui éviterait des effets de distorsion. Cela inciterait les annonceurs à investir dans les médias locaux. La conception de ce dispositif doit être soigneusement pensée pour que des acteurs pure players français ne soient pas impactés de la même façon que les géants du net. C’est une question de justice fiscale : une recette perçue ici doit bénéficier à notre économie locale.
À lire aussi
Conférence : Agir pour la relocalisation média, un enjeu économique et sociétal
L'association Les Relocalisateurs organise le 5 novembre prochain à Paris, une conférence autour des médias locaux, leurs ancrages dans la société et l'économie des territoires et ces investissements publicitaires souvent réalisés sur les grandes plateformes.
À lire plus tard
Vous devez être inscrit pour ajouter cet article à votre liste de lecture
S'inscrire Déjà inscrit ? Connectez-vous