Pierre Calmard (Dentsu) : « L’effet JO pourrait avoisiner les 200 millions d’euros pour le marché publicitaire »
Le grand témoin The Media Leader. Pour entamer cette année 2024, nous avons donné la parole à une personnalité du marché publicitaire. Pierre Calmard dirige le groupe d’agences média Dentsu France. L’une de ses agences, iProspect, est arrivée en tête du classement COMvergence New Business sur les 9 premiers mois de l’année 2023. Entre optimisme olympique sur le marché, mais pessimisme face au lent déclassement de la France et sa « législation du vingtième siècle », Pierre Calmard s’enthousiasme d’un nouveau monde qui ouvre le champ des possibles avec l’avènement de l’IA.
The Media Leader : En regardant dans le rétroviseur, quel bilan dressez-vous de cette année 2023 – mouvementée – pour le marché publicitaire ?
Pierre Calmard : La publicité est souvent à l’image de la société et de l’économie. 2023 fut une année difficile sans être catastrophique. L’année a plutôt mal démarré, avec beaucoup d’hésitations de la part des annonceurs. Elle se termine un peu mieux, et le marché devrait finir en faible croissance. Trois tendances se dégagent. D’abord, la distribution est plus que jamais la locomotive du marché. Les difficultés de pouvoir d’achat des Français expliquent la bataille que se livrent les géants de la distribution, qui constatent le retour du low-cost, du petit prix, de la promotion, au détriment des achats plus onéreux, voire plus vertueux. Le bio est ainsi en recul, symptôme d’une hiérarchie des priorités souvent schizophrène dans la société occidentale. C’est un gros avertissement pour les autres annonceurs. Ils sont déjà en partie dépendants des distributeurs, abandonner le terrain de la communication constituerait un risque mortel pour certains. Ensuite, le pilotage des stratégies de communication est devenu beaucoup plus tactique et moins planifié. Le court-terme prend souvent le pas sur le long-terme. Clairement, c’est un danger pour les marques. Les nouvelles générations sont moins fidèles, plus volatiles, il faut trouver les moyens de continuer de les séduire. Le poison lent des marques, c’est l’effritement de leur mythologie ; communiquer n’est pas une option. Enfin, l’inflation a frappé des pans entiers de l’économie, mais pas énormément les médias et le secteur de la communication. Les annonceurs français savent préserver leurs intérêts de court terme. Là encore, j’y vois un risque rampant d’appauvrissement des talents, de la pertinence des stratégies de communication mises en place, et in fine de la dynamique de croissance du pays.
Si nous avons la chance de disposer d’un paysage médiatique large et divers, c’est parce que les citoyens y ont accès pour un coût faible ou nul. Supprimer la publicité, c’est rendre l’information et le divertissement l’apanage des élites, et de ceux qui en ont les moyens.
The Media Leader : Dentsu prévoit une hausse de +4,6% des dépenses publicitaires dans le monde en 2024, +2,4% pour la France (un peu plus pessimiste que d’autres agences médias). Quelle analyse faites-vous de ces chiffres ?
P.C : Mon analyse est simple : cette glissade est le reflet du lent déclassement de la France. Certains adeptes de la décroissance estiment qu’il s’agit d’une marque de modernité. J’y vois au contraire une reculade de notre démocratie. La publicité est la principale contributrice de l’économie des médias. Si nous avons la chance de disposer d’un paysage médiatique large et divers, c’est parce que les citoyens y ont accès pour un coût faible ou nul. Supprimer la publicité, c’est rendre l’information et le divertissement l’apanage des élites, et de ceux qui en ont les moyens. Qui plus est, la transition sociétale et environnementale que nous devons entreprendre en tant que société doit s’accélérer grâce à la communication. La publicité fonctionne : c’est une bonne nouvelle, et il faut l’utiliser.
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The Media Leader : L’inflation des tarifs médias continue d’avoir une influence significative sur la croissance. Est-ce un danger pour le marché publicitaire à court terme ?
P.C : Ce qui est dangereux, c’est au contraire le manque d’inflation du secteur en regard de l’inflation constatée par ailleurs. Le poids économique relatif du secteur décroit, les acteurs s’appauvrissent. A court terme, l’effet d’aubaine est favorable pour les annonceurs : les directions des achats peuvent se satisfaire de la modération des coûts, et de l’atteinte de leurs critères de productivité. Sur le moyen terme, l’avantage est beaucoup plus discutable. Moins de concurrence, moins d’audience, moins d’intelligence, c’est moins de performance publicitaire.
D’ailleurs, le succès des plateformes digitales le démontre de façon flagrante : quand elles décident unilatéralement d’augmenter leurs tarifs, et dès lors que les résultats business suivent pour les annonceurs, elles engrangent une part croissante des dépenses publicitaires.
Le danger, c’est l’effondrement de l’intelligence au bénéfice de l’obsession de la négociation. Ce paradigme sera en mort cérébrale dans moins de dix ans.
The Media Leader : Les Jeux olympiques de Paris 2024 auront-ils un effet positif sur le marché, à court et long terme ?
Tous les supports publicitaires devraient bénéficier de l’effet JO, des télévisions aux afficheurs en passant par la presse et la radio.
P.C : Oui, c’est indéniable à court terme. Paris et la France en général vont devenir la vitrine d’un événement mondial majeur. Les marques pensent à raison que l’association avec les valeurs du sport boostent leur attractivité. Nous estimons que l’effet JO pourrait avoisiner les 200 millions d’euros.
La bonne nouvelle est que tous les supports publicitaires devraient en bénéficier, des télévisions aux afficheurs en passant par la presse et la radio.
Sur le long terme, si cette période peut redonner de la confiance aux annonceurs comme aux consommateurs, ce serait formidable.
The Media Leader : Le marché de la télévision semble être à la croisée des chemins après une année 2023 chaotique. Médiamétrie lance aujourd’hui une nouvelle mesure de la TV. TF1 lance sa nouvelle plateforme dans quelques jours. Netflix, Disney et Amazon vont accélérer leurs offres publicitaires en 2024. Comment voyez-vous évoluer ce marché ?
P.C : La plateformisation du marché est inévitable. Logiquement, l’intégration de la publicité suivra l’évolution de la consommation des contenus. Cette digitalisation de la diffusion, c’est la promesse de plus de personnalisation. C’est une bonne nouvelle pour le marché, puisque nous vivrons dans un monde avec moins de publicité, mieux ciblée, plus chère à l’unité mais plus efficace globalement.
Médiamétrie travaille à harmoniser la mesure entre les deux mondes que nous connaissons actuellement. C’est un besoin d’harmonie et d’homogénéité nécessaire. Nous avons d’ailleurs intérêt à nous en préoccuper, car le monde ne nous attendra pas. La France, avec sa législation du vingtième siècle, doit absolument évoluer, et participer activement à cette révolution planétaire.
Il n’y aura plus qu’un seul marché de la diffusion vidéo, et il sera mondial.
The Media Leader : Vos prévisions prévoient un déclin de la presse qui va être dépassé par l’OOH en 2025. Comment ce secteur peut-il poursuivre sa transformation digitale face à des GAFA puissants ?
P.C : C’est vrai partout dans le monde. Comme pour la télévision, le paradigme à venir est planétaire. C’est un système dans lequel la France seule ne pèse quasiment rien. Ceci étant, la presse en France est encore aujourd’hui un média fort et diversifié, préempté par certains secteurs tels que luxe, beauté, distribution ou automobile. C’est aussi l’un des piliers de notre modèle démocratique, qu’il serait à mon avis bon de préserver.
Le challenge sur leur transformation digitale est évident, avec pour obligation de se démarquer des GAFA. Les titres disposent d’atouts certains : leur contenu propriétaire, la qualité éditoriale et leurs abonnés sont leurs forces. Les plateformes ne disent rien, elles diffusent. Sans contenu, qu’est-ce qu’un contenant ? Leur enjeu majeur est de dépasser le paradigme de la presse (le mot lui-même veut tout dire). Ils doivent devenir des marques média, fluides et libérées des contraintes de forme. Dans une optique claire : trouver le moyen de s’imposer dans le paysage des jeunes générations.
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The Media Leader : Le cookiesless sera une réalité en 2024. Êtes-vous prêts ?
P.C : Nous le sommes. Une équipe complète chez dentsu maitrise l’étendue des solutions déployables pour cibler intelligemment sans cookie. Nous l’avons joliment nommée « Future Lab », elle rassemble des compétences techniques pointues et des experts du marketing.
Mais en réalité, les annonceurs français sont très loin d’être tous au même niveau. La compréhension des enjeux est extrêmement diverse. Certains ont déjà mis en place les solutions adéquates, et nous travaillons en très bonne synergie pour que la mesure de l’efficacité publicitaire puisse continuer d’être pertinente. D’autres sont encore loin du sujet. Nous serons prêts le jour venu à faire la pédagogie nécessaire, et les accompagner dans l’inévitable mutation qu’ils devront affronter.
The Media Leader : Comment voyez évoluer le marché sur les 5 prochaines années ?
P.C : Le marché publicitaire français sera chahuté. Il devra affronter la confrontation inévitable entre une mondialisation de son fonctionnement, et un système législatif « has been », issu du monde révolu du vingtième siècle. La souveraineté nationale risque de devenir un souvenir de boomer, ou l’illusion des adeptes du « c’était mieux avant », qui seront plus proches de la retraite que des premières amours. Si les médias français veulent perdurer, si nous voulons préserver notre modèle démocratique, il devient urgent d’agir politiquement, pour revoir en profondeur les dispositions législatives lunaires qui nous isolent dans une bulle d’illusion.
Ce débat est d’autant plus important que l’émergence de l’IA va totalement bouleverser le secteur. C’est vrai partout. De la production de contenus à l’optimisation des campagnes publicitaires, l’intelligence artificielle fera mieux que les humains. Beaucoup s’effraient de la disparition d’un monde, je suis au contraire avide d’assister à l’avènement d’un autre.
C’est pourquoi je suis optimiste. Vous avez regardé sur le site de l’INA par exemple les publicités des années 50, 60, ou même 80 ? La publicité sait s’adapter.
Les jeunes aiment la communication, et la publicité. Les sujets changeront et s’adapteront.
Il nous appartient, à nous professionnels de la communication, de replacer l’harmonie au centre des débats, et du discours publicitaire.
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