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Google sans Chrome ? Le souhait du gouvernement américain

Google sans Chrome ? Le souhait du gouvernement américain
Les poursuites contre Google avaient été lancées sous l'administration de Donald Trump et continuées sous la présidence de Joe Biden.

Selon Bloomberg, Le gouvernement américain va demander à un juge d’obliger Google à céder son navigateur Chrome. Une telle sanction contre le géant des technologies, reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles dans la gestion de son moteur de recherche, serait historique. Maître Masmi-Dazi nous livre son analyse.

Le ministère de la Justice compte également exiger des mesures concernant les nouveaux outils d’IA générative et son système d’exploitation mobile Android, d’après des sources proches du dossier anonymes citées lundi par l’agence de presse.

Google a été jugé coupable l’été dernier de pratiques illégales pour établir et maintenir son monopole dans la recherche en ligne par Amit Mehta, un juge fédéral de Washington.

Une scission de Google

Ce dernier pourrait se prononcer sur la peine en août 2025, après avoir reçu la requête officielle des autorités en novembre et entendu les deux parties lors d’une audition spéciale en avril.

La possibilité d’enjoindre une scission de Google marque un changement profond de la part des autorités américaines de la concurrence qui ont largement laissé tranquilles les géants des technologies depuis leur échec à démanteler Microsoft il y a vingt ans.

Le ministère veut que Google se sépare de Chrome, le navigateur internet le plus utilisé au monde, parce qu’il constitue un point d’accès majeur au moteur de recherche, sapant ainsi les chances de potentiels concurrents.

Selon le site StatCounter, Google pesait, en septembre, 90% du marché mondial de la recherche en ligne et même 94% sur les smartphones.

« AI Overviews »

Les autorités antitrust devraient en outre proposer que Google dissocie Android de ses autres produits, notamment le moteur de recherche et la boutique d’applications mobiles Google Play, selon Bloomberg.

Le gouvernement veut également agir sur les résultats de recherche formulés par l’IA générative, les « AI Overviews » qui répondent directement aux questions des utilisateurs, sans avoir à cliquer sur des liens.

Baisse de trafic

De nombreux sites internet se plaignent d’une baisse de trafic et les rivaux de Google dans la recherche en ligne estiment que ce nouveau format ne leur laisse aucune chance d’émerger.

Les dix semaines de procès avaient permis de révéler les sommes mirobolantes versées par la filiale d’Alphabet pour s’assurer de l’installation par défaut de Google Search, notamment sur les smartphones fabriqués par Apple et Samsung.

Les poursuites avaient été lancées sous l’administration de Donald Trump et continuées sous la présidence de Joe Biden.

Si le juge retient les propositions des autorités, celles-ci pourraient remodeler le marché de la recherche en ligne et l’industrie de l’IA générative en pleine expansion.

Mais les changements, s’ils ont lieu, prendront sans doute des années, Google ayant prévu de faire appel. Sollicité par lundi, le département de la Justice n’a pas fait de commentaire.


The Media Leader : Quels sont les arguments juridiques majeurs avancés par les autorités américaines pour exiger une séparation entre Google et son navigateur Chrome ? Cette situation reflète-t-elle une tendance mondiale en matière de régulation des géants du numérique ?

Maître Masmi-Dazi : Tout d’abord, cette initiative provient d’une demande du département de la Justice américain (DOJ) adressée au juge qui, en août dernier, a conclu que Google détenait une position monopolistique sur le marché du Search aux États-Unis. À ce stade, le juge ne s’est pas encore prononcé sur les mesures à adopter. De nouvelles audiences, prévues sur deux semaines en avril, permettront de débattre des remèdes envisageables.

En ce qui concerne les mesures préconisées par le DOJ, la cession de certaines activités de Google fait partie des solutions envisagées, mais ce n’est pas la seule. D’autres options incluent l’octroi de licences d’accès à certaines données, ainsi que des restrictions sur l’utilisation et l’entraînement des intelligences artificielles génératives. Nous disposerons d’informations plus précises lorsque le DOJ publiera le détail de sa demande.

La base de cette action réside dans la décision d’août dernier, où il a été établi que Google abusait de sa position dominante sur le marché du Search et de la publicité liée. Le DOJ avait déjà laissé entendre qu’il pourrait demander un démantèlement ou une scission de l’entreprise pour remédier aux conflits d’intérêts structurels. Ces propositions, bien qu’encore hypothétiques, pourraient inclure d’autres mesures tout aussi radicales. Cette démarche fait écho aux préoccupations exprimées par la Commission européenne dans l’affaire en cours concernant les technologies publicitaires (Ad Tech), où une hypothèse similaire a été évoquée dans la notification des griefs.

L’idée sous-jacente est qu’un remède moins structurel ne suffirait pas à résoudre les problèmes de concurrence liés à l’organisation conglomérale de Google. Cette convergence entre les autorités américaines et européennes sur l’identification des enjeux de concurrence, voire sur les solutions à envisager, est notable. Cependant, cela ne présage en rien des décisions finales du juge Amit Mehta, qui devra entendre toutes les parties concernées avant de trancher.

Enfin, cette situation ne reflète pas nécessairement une volonté de régulation accrue des géants technologiques, mais met en évidence les préoccupations structurelles de concurrence soulevées par leur modèle économique. Si la régulation peut répondre à certains de ces défis, le droit de la concurrence reste un outil complémentaire pour y remédier. Les deux approches, loin d’être opposées, peuvent être envisagées conjointement.

TML : Si Google devait se séparer de Chrome, quelles seraient les conséquences juridiques et économiques pour l’entreprise, mais également pour l’ensemble de l’écosystème numérique, notamment en matière d’interopérabilité et de respect des données personnelles ?

Maître Masmi-Dazi : Il est actuellement impossible de prédire avec certitude les conséquences juridiques et financières de cette affaire. Le jugement attendu aura indéniablement des répercussions importantes, bien au-delà des États-Unis. Les injonctions ou engagements de cession ne constituent pas une nouveauté en matière de concurrence, mais leurs implications dépendent largement de la manière dont elles sont mises en œuvre et des exigences spécifiques (qu’elles soient juridiques, fonctionnelles, techniques, etc.).

L’objectif d’une telle mesure, si elle venait à être adoptée, serait de stimuler une concurrence plus saine, de favoriser l’émergence d’alternatives crédibles à Google et, potentiellement, d’encourager davantage d’interopérabilité. Cela devra toutefois s’inscrire dans le respect des règles existantes, notamment européennes, en matière de protection des données personnelles.

Pour qu’une mesure soit jugée acceptable par une autorité de concurrence, elle ne doit pas, en elle-même, créer de nouveaux problèmes concurrentiels. Par conséquent, l’élaboration d’un remède adéquat, y compris une éventuelle cession, prendra probablement en compte ces considérations. Le juge devra ainsi peser différents intérêts et perspectives avant de trancher.

En France, un précédent intéressant réside dans la décision de l’Autorité de la concurrence de juin 2021, qui avait conduit Google à accepter des engagements en matière d’interopérabilité dans le domaine de l’ad tech. Cette décision avait également permis à Equativ d’obtenir 26,5 millions d’euros de dommages et intérêts. Ce précédent montre que des mesures similaires, visant à améliorer l’interopérabilité tout en renforçant la concurrence, peuvent être envisagées dans d’autres contextes.

TML : Ce type de mesure est-il courant dans les dossiers antitrust et pourrait-il constituer un précédent pour d’autres entreprises tech dans des secteurs où elles dominent, comme les systèmes d’exploitation ou la publicité en ligne ?

Maître Masmi-Dazi : Ce type de mesure n’est pas en soi inédit, mais les démantèlements ou solutions structurelles radicales restent rares aux États-Unis. L’un des seuls cas emblématiques est celui de Microsoft, où un démantèlement avait été ordonné en première instance, avant que la décision ne soit annulée en appel. Si le juge Mehta venait à prendre une mesure radicale, il est probable qu’Alphabet fasse appel. Toutefois, rien ne garantit que l’issue serait similaire à celle de Microsoft, car cela dépendra du contexte spécifique et des arguments présentés à chaque niveau de juridiction.

La scission pourrait constituer un élément d’une solution envisagée, mais elle ne serait pas isolée. Elle semble être accompagnée de demandes complémentaires, telles que l’octroi d’accès à certaines données ou des restrictions concernant l’utilisation et l’entraînement de l’intelligence artificielle générative. L’impact global de ces mesures ne pourra être pleinement évalué qu’une fois la demande du DOJ rendue publique.

Par la suite, ces propositions devront être confrontées aux arguments de défense de Google et aux contributions des parties tierces concernées. Le juge devra alors procéder à une mise en balance des différents éléments pour déterminer une solution appropriée, tenant compte à la fois des enjeux concurrentiels et des implications pratiques des mesures envisagées.

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